Auteur/autrice : the_bridge_tank

COP28 – Leçons et apprentissages de The Bridge Tank à la COP de Dubai

Depuis 2015 et la COP21 à Paris, la présence de The Bridge Tank à la COP est devenue une opportunité annuelle pour notre think tank de contribuer au débat public sur l’action climatique et le développement durable. Cette année, la COP28 à Dubaï n’a pas fait exception à la règle. Joël Ruet, Président de The Bridge Tank, a participé à la conférence du 30 novembre au 4 décembre, en coordination avec le Partenariat Français pour l’Eau (PFE) et le Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB).

Au-delà des négociations officielles, marquées par des tensions et des frustrations mais qui ont malgré tout abouti à un accord historique, les COP sont l’occasion de dialoguer avec des acteurs du changement venant du monde entier et de découvrir des success stories et des projets développés par des praticiens inspirés et inspirants. La COP fut également une opportunité d’en apprendre davantage sur les dernières innovations liées aux sujets qui ont été au cœur des actions de The Bridge Tank au fil des ans – transitions énergétiques, modèles de croissance économique et les rôles de l’industrie, l’agriculture et l’adaptation des terres dans ces dernières.

Ces thèmes ont tous connu des avancées importantes lors de la COP28 : les énergies fossiles ont été mentionnées dans l’accord final, les engagements des acteurs industriels se sont multipliés et le fonds pour les pertes et dommages a été mis en place.

Par ailleurs, The Bridge Tank a eu le privilège d’être directement impliqué dans la présentation de deux de ces success stories provenant d’Afrique de l’Ouest, qui ont permis d’évaluer la contribution au développement de la région :

  • fournie par les infrastructures hydroélectriques et les programmes associés mis en œuvre par l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Le side event a été organisé par l’OMVS et la SOGEM, avec le soutien officiel du CILSS, qui a accueilli l’événement sur son pavillon, et de The Bridge Tank.
  • offerte par les financements innovants pour les projets climatiques, avec le lancement officiel du Fonds d’étude climat de la Banque ouest-africaine de développement.

Pour en savoir plus sur la participation de nos board members à la COP de Dubaï :

Sécurité alimentaire : gouvernance, sécurité et résilience climatique

Le 2 décembre, la Conférence de Munich sur la sécurité (Munich Security Conference, MSC) a ainsi organisé un side event à huis clos, intitulé « Dried Up : Strengthening Resilience of Food Systems in Light of Climate Change » (« Asséchés : renforcer la résilience des systèmes alimentaires face au changement climatique »). L’événement s’est penché sur la façon dont le changement climatique contribue à l’insécurité alimentaire actuelle, une crise déjà aggravée par la guerre menée par la Russie en Ukraine, divers conflits régionaux, les conséquences de la pandémie de COVID-19, les chocs économiques et les défis de la chaîne d’approvisionnement à travers le monde.

Comment faire converger au mieux les efforts de lutte contre le changement climatique et contre la faim ? Comment la COP28 peut-elle servir de plateforme pour réunir les deux communautés politiques afin d’aborder les effets d’entraînement du changement climatique sur la sécurité alimentaire mondiale ? Telles étaient les grandes questions au coeur des discussions entre les participants à ce side event :

  • Cindy Hensley McCain, Directrice exécutive, United Nations World Food Programme
  • Vera Songwe, Présidente du conseil d’administration, The Liquidity and Sustainability Facility
  • Ricarda Lang, Coprésidente, Groupe Parlementaire Alliance 90/Les Verts Greens
  • Nisreen Elsaim, Présidente, Sudan Youth  Organization on Climate Change, Khartoum
  • Michael Werz, Conseiller senior, Munich Security Conference (Modération)

Un sujet qui intéresse particulièrement The Bridge Tank est celui du financement de la restauration des terres et de l’agriculture durable et créatrice d’emplois, notamment en Afrique. Notre engagement auprès des dirigeants africains nous a conduit à l’idée qu’une utilisation transitoire des revenus du gaz naturel est le moyen de financer ces investissements nécessaires, dans un double contexte où l’Afrique subsaharienne n’a pas été un contributeur au changement climatique et a besoin de financer sa transition durable d’une part, tandis que d’autre part, l’Occident voit le gaz naturel comme une étape de la transition énergétique.

Après ces premiers investissements qui incluraient le financement de la diffusion des énergies renouvelables sur le terrain, cette transition financière pourrait prendre fin ; le message principal des participants à la COP venus du Sud Global étant qu’ils souhaitent s’appuyer de plus en plus sur des financements souverains pour leurs transformations et ne pas dépendre de l’Occident quand ils le peuvent. Joël Ruet a pu partager ces points de vue avec les panélistes. C’est dans cet esprit que The Bridge Tank est prêt à contribuer à la task force que la Conférence de Munich sur la sécurité se propose de lancer.

Le commerce durable et le libre-échange, vecteurs de la lutte contre le changement climatique

La veille, le 5 décembre, Joel Ruet avait déjà été convié à une réception de haut niveau sur le thème « Le commerce durable et inclusif en tant que moteur de la croissance économique et de la prospérité ».

La réception a rassemblé :

  • Hillary Clinton, ancienne Secrétaire d’État des États-Unis,
  • Dr Ngozi Okonjo-Iweala, Directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce,
  • Maha AlQattan, Directrice générale du développement durable, DP World.

En ouverture, Hillary Clinton a cité Madeleine Albright, en se décrivant comme « une optimiste qui s’inquiète beaucoup », traduisant ainsi avec finesse l’esprit des participants à la COP28 à ce stade des négociations. Elle a rappelé les efforts de la Global Clinton Initiative en faveur de la durabilité environnementale et s’est réjouie qu’un accord ait pu être trouvé sur les pertes et dommages.

Néanmoins, la lutte contre le changement climatique nécessite également un plan d’action à long terme, dont le libre-échange fait partie, même s’il doit être repensé, a rappelé Mme Okonjo-Iweala. En effet, le libre-échange a eu jusqu’à présent des avantages et des inconvénients : les avantages sont certainement liés à sa capacité à assurer une large distribution des technologies vertes qui ont été mises à l’échelle à un coût rapidement décroissant ; la connectivité et le développement de la chaîne logistique ont également assuré leur portée à l’intérieur des terres, bien au-delà des capitales ou des principaux ports, un point que l’invité de DP World a également tenu à souligner. En ce qui concerne les améliorations nécessaires de l’empreinte carbone du libre-échange, Mme Okonjo-Iweala a rappelé plusieurs tendances positives ou points d’inflexion dans l’introduction de meilleures normes ESG dans la chaîne mondiale, en insistant notamment sur l’effet de levier de l’industrie du transport maritime.

Mme Okonjo-Iweala a plus généralement rappelé le rôle de la coordination entre les acteurs industriels, les gouvernements et la finance, une ligne d’analyse qui traverse l’histoire de The Bridge Tank depuis sa création, sur la base de laquelle nous avions notamment contribué à la task force sur l’énergie et le climat dans le cadre de la présidence du G20 en 2023.

Enfin, Mme Okonjo-Iweala a introduit une perspective progressiste bienvenue sur le libre-échange, qui n’est pas recherché en soi mais qui est accompagné de transparence, de normes équitables et de progrès social dans les pays et les systèmes économiques qui veulent participer au système de l’OMC. L’assistance, composée de personnalités de renom issues de divers secteurs industriels et géographies, a pu constater qu’une révolution silencieuse était en cours.

Hillary Clinton
Hillary Clinton, Ngozi Okonjo-Iweala, & Maha AlQattan
Accélérer la transition énergétique : outils économiques et acteurs

Un side event clé co-organisé par la Task Force sur la tarification du carbone en Europe présidée par Edmond Alphandéry, ancien ministre français de l’économie, et le think tank The Climate Overshoot Commission présidé par Pascal Lamy, ancien DG de l’Organisation mondiale du commerce, a fourni un compte-rendu détaillé de la réflexion sur les outils économiques, les perspectives technologiques et les priorités environnementales et morales en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans la continuité de la présentation par la représentante du FMI des résultats d’une étude historique décrivant la répartition des subventions aux combustibles fossiles en fonction des capacités de production, et de la présentation par Lord Turner de la version actualisée de l’approche de l’Energy Transiton Commission sur le rôle respectif des différentes technologies, Joel Ruet a suggéré de travailler à une connexion entre les deux, non seulement en reliant les deux paramètres mais aussi en les ancrant dans des géographies, afin de préparer le terrain pour des scénarios et des politiques optionnels.

Le Bridge Tank ayant été un participant régulier de la Task Force, nous avons été heureux de voir les progrès continus de ses résultats et de ses réalisations au fil des ans.

L’événement parallèle « Coping with global warming and reducing risk of a warming climate » (Faire face au réchauffement climatique et réduire le risque d’un réchauffement du climat) a donné la parole à :

  • Edmond Alphandéry, Président de la Task Force sur la tarification du carbone en Europe, ancien ministre de l’économie de la France ;
  • Dora Benedek, Responsable de division, division de la politique climatique, département des affaires fiscales, Fonds monétaire international ;
  • Lord Adair Turner, Président de la Commission pour la transition énergétique ;
  • Julien Perez, Vice-président, stratégie et politique, Oil and Gas Climate Initiative (OGCI) ;
  • Pascal Lamy, Président de la Climate Overshoot Commission, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce ;
  • Hina Rabbani Khar, ancienne ministre des affaires étrangères du Pakistan, membre de la Climate Overshoot Commission.
Lord Adair Turner

En matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, les acteurs comptent. Le 5 décembre, Joël Ruet était invité à participer à un dîner sur le thème « Accélérer la transition énergétique : la nécessité d’une action collective », organisé par la société de logistique émiratie DP World, et réunissant un ensemble d’acteurs économiques de l’industrie portuaire et maritime, des ONG engagées dans l’adaptation, et des grands industriels. Cet événement s’inscrivait dans la continuité de la participation de The Bridge Tank aux groupes de travail du Business20 du G20.

L’événement a permis de réfléchir à des pistes d’action pour faciliter et accélérer la transition vers des sources d’énergie à faible teneur en carbone, un sujet d’intérêt de longue date pour The Bridge Tank.

Le format « discussion au coin du feu » de l’évènement a accueilli les contributions de Jesper Kristensen, Group Chief Operating Officer, Marine Services DP World, Tiemen Meester, Group COO, Ports & Terminals, DP World, Sue Stevenson, Director of Strategic Partnerships and International Development, Barefoot College International, & Federico Banos-Lindner, Group SVP, Government Relations & Public Affairs, DP World. Les discussions ont été animées par Lynn Davidson, ancienne conseillère du président de la COP26, Alok Sharma, et ont été ponctuées d’une allocution de Rajiv Ranjan Mishra, chef de la délégation de la COP28, Confédération de l’industrie indienne (CII).

Lynn Davidson, Federico Banos-Lindner, & Sue Stevenson
Adaptation et résilience au changement climatique

Ayant récemment travaillé avec le bureau national du PNUD en Haïti sur le plan national d’adaptation de ce pays, The Bridge Tank a porté un intérêt particulier à la session intitulée « Changement climatique, insécurité et mobilité dans les États fragiles : Une nouvelle approche de l’adaptation au climat et de la consolidation de la paix » qui s’est tenue au pavillon de la Somalie et a été organisée par le Programme des Nations unies pour l’environnement, le ministère haïtien de l’environnement, la Somali Greenpeace Association et le Mécanisme des Nations unies pour la sécurité climatique.

Sur ce thème de l’adaptation, The Bridge Tank a également participé à un événement parallèle sur « l’apprentissage itératif mené localement et l’adaptation transformative pour renforcer la résilience des communautés » organisé par le Centre international pour le changement climatique et le développement et accueilli par le pavillon du FENU.

La COP28 a également été l’occasion de faire le suivi de notre side event de la COP27 avec la Banque Agricole de Développement du Niger sur leurs initiatives visant à promouvoir les systèmes d’assurance rurale.

La zone d’innovation de la COP28

Enfin, la Zone Innovation de cette année a accueilli une multitude d’initiatives sur l’innovation, la finance durable, l’hydrogène et l’agriculture. Cela s’est avéré être une occasion précieuse d’aiguiser l’esprit des uns et des autres sur les tendances à venir.

COP28 – Finance innovante pour les projets Climat en Afrique de l’Ouest

Le 3 décembre, Joel Ruet était l’un des invités au lancement officiel du Fonds d’Étude Climat (FEC) de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD), à l’occasion d’un side event de la COP28 organisé par la BOAD avec le soutien de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Développé dans le cadre d’une assistance technique financée par l’Agence française de développement (AFD), le FEC vise à renforcer l’intégration régionale, la sécurité alimentaire, et la réponse aux défis climatiques au sein de l’UEMOA. En 2022, Joel Ruet avait été consulté sur le dimensionnement économique de ce fonds et avait participé aux échanges de la BOAD avec la Commission Économique de l’UEMOA et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Ce Fonds pensé comme un outil « d’origination de projets » doit faire pièce à la croyance tenace mais fausse qu’il n’y aurait pas assez de projets bancables dans les économies en développement, thème de recherche du Bridge Tank (voir notre rapport sur le financement des banques commerciales an Afrique sub-saharienne), et concrètement vise à renforcer la capacité de mobilisation de ressources financières dédiées à l’action climatique dans la région UEMOA. Officiellement validé par le Conseil d’Administration de la BOAD et le Conseil des Ministres de l’UEMOA en septembre dernier, le FEC a pour mission d’accompagner les porteurs de projets environnementaux dans la réalisation d’études de faisabilité.

La BOAD définit le rôle du Fonds comme un outil accompagnant les Etats de l’UEMOA face aux difficultés rencontrées pour financer leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN) et permettant de lever les obstacles existants dans la préparation de projets environnementaux, par ex. faibles capacités financières de porteurs de projets climat, absence de financements pour la maturation de projets au niveau des Etats de l’UEMOA, ou encore les capacités techniques limitées dans l’élaboration de la documentation nécessaire aux projets climat finançables.

L’évènement de lancement à la COP28 à Dubai a également été marqué par la signature entre la BOAD et l’AFD d’une convention relative à l’abondement de ce fonds, les deux organisations étant représentées par Serge Ekue, Président de la BOAD et Rémy Rioux, Directeur Général de l’AFD. L’UEMOA était, quant à elle, représentée par le Commissaire Kako Nubukpo, en charge du Département de l’Agriculture, des Ressources en Eau et de l’Environnement. A partir de cet abondement de démarrage de 10 milliards de FCFA, la dotation du FEC est appelée à croître rapidement, pour ensuite se renouveler annuellement.

Kako Nubukpo, Serge Ekue, & Rémy Rioux

COP28 – Focus sur la participation de nos board members à la COP de Dubaï

Photo de tête (de gauche à droite) : Raphaël Schoentgen, PDG Fondateur, Hydrogen Advisors, Board membre de The Bridge Tank ; Claire Martin, VP Sustainability, CMA CGM, Board membre de The Bridge Tank ; Amadou Maiga Mahamadou, Directeur Général Adjoint, Banque agricole du Niger ; Joel Ruet, Président de The Bridge Tank ; Abdoul Razak Baraze Saida, Directeur du Crédit d’Etude et du Partenariat, Secteur Agricole, Banque agricole du Niger. Nos autres board members présents à la COP28 : Judit Arenas & Martha Delgado Peralta. Voir plus bas.

La vingt-huitième édition de la COP vient de s’achever. Cette année encore, les board members de The Bridge Tank ont été très actifs pendant deux semaines à Dubaï. Retour sur la COP28 et sur les contributions de nos board members sur place.

Droits de l’homme, intégration de la dimension de genre et développement urbain

Notre board member Martha Delgado Peralta, ancienne sous-secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l’homme au ministère mexicain des affaires étrangères, a partagé son expérience et celle du Mexique sur divers sujets prioritaires pour une action climatique durable et inclusive. Elle a notamment participé à un événement parallèle organisé par le FNUAP, l’OMS et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme intitulé « Road to ICPD30 : Enhancing Rights-based NDCs and Integration of Gender-Transformative Approaches » (Vers la CIPD30 : renforcer les CDN fondées sur les droits et l’intégration d’approches transformatrices en matière de genre) (à gauche).

Lors de la COP, Martha Delgado Peralta a été récompensée pour son engagement et son leadership en tant que première présidente de l’Assemblée d’ONU-Habitat de 2019 à 2023. Son mandat a contribué de manière significative à la mise en œuvre du Nouvel agenda urbain d’ONU-Habitat, à la défense des droits des habitants et à la promotion du développement durable des villes du monde entier (à droite).

Martha Delgado Peralta (2ème à gauche)
Martha Delgado Peralta (gauche)
Judit Arenas (2ème à gauche) & Calixto Suarez Villafañe (centre)
Soutien aux acteurs du changement

Pour notre board member Judit Arenas, Directrice Senior d’APCO Worldwide, la COP28 a été une nouvelle occasion de soutenir les acteurs du changement du monde entier œuvrant à la construction d’un avenir durable. Calixto Suarez Villafañe, militant de la cause des peuples indigènes et figure de proue du peuple Arhuaco de la Sierra Nevada de Santa Marta, dans le nord de la Colombie, a été l’une de ces figures de proue du changement.

Cette année, les thèmes d’intérêt de Judit Arenas comprenaient également deux nouveaux sujets à l’ordre du jour de la COP, à savoir les questions de conflit – notamment grâce à la contribution de la Conférence de Munich sur la sécurité, ainsi que le commerce, afin de garantir une croissance intelligente sur le plan climatique et une plus grande résilience des chaînes d’approvisionnement. D’autres sujets à l’ordre du jour étaient le nexus eau-alimentation-climat et la nécessité d’une action intégrée en matière de santé et de climat.

Durabilité des océans et économie bleue

Notre board member Claire Martin, VP Sustainability, CMA CGM, a été impliquée dans une série de panels et de side events dédiés à la durabilité des ressources océaniques sur le pavillon des océans de la COP28, notamment un panel sur le « Retour sur l’investissement océanique : construire le protocole d’investissement océanique » par UN Global Compact et Ocean Stewardship Coalition ainsi qu’un autre sur  » L’économie et la finance bleues ».

Claire Martin a présenté les efforts entrepris par CMA CGM pour accélérer la transition vers une utilisation durable des ressources océaniques, à travers le financement de la décarbonisation des navires et des carburants, la promotion de la coopération entre les différentes parties prenantes, le soutien à la recherche, l’utilisation de solutions basées sur la nature pour préserver la biodiversité des sites d’exploitation et l’engagement auprès des communautés locales.

Claire Martin (au micro)
Claire Martin (3ème à droite)
Transition énergétique et tarification du carbone

Raphael Schoentgen, PDG Fondateur, Hydrogen Advisors, et Joel Ruet, Président de The Bridge Tank, ont assisté à un side-event organisé par la Task Force sur la tarification du carbone en Europe, présidée par Edmond Alphandéry, ancien ministre français de l’économie (voir la participation de The Bridge Tank à la Task Force) et le think tank The Climate Overshoot Commission, présidé par l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy. Le side event a abordé les défis que représentent la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des risques liés au réchauffement du climat.

Ce side event a été l’occasion pour Joel Ruet et Raphael Schoentgen de rencontrer à nouveau Edmond Alphandéry, qui a interagi avec The Bridge Tank à de multiples occasions par le passé, notamment pour discuter de la tarification du carbone, ainsi qu’avec Lord Adair Turner, président de la Commission sur les transitions énergétiques de la COP26, avec lequel Joel Ruet s’était entretenu lors du Summit of Minds 2021, en amont de la COP26.

Raphael Schoentgen, Edmond Alphandéry & Joel Ruet
Joel Ruet & Lord Adair Turner
Lord Adair Turner & Raphael Schoentgen

COP28 – Side event sur les contributions des ouvrages hydroélectriques au développement en Afrique de l’Ouest

Clap de fin pour la COP28 de Dubai. À l’heure du bilan, on retiendra évidemment l’accord final appelant à une « transition hors des énergies fossiles, » des avancées sur les pertes & dommages, et la question de l’adaptation et de son financement gagnant en visibilité. 

Ces trois priorités illustrent aujourd’hui l’importance de développer des projets intégrateurs du développement répondant à la fois aux enjeux d’atténuation et d’adaptation. Contribuant à bien plus que la seule production d’électricité, les barrages hydroélectriques, d’autant qu’ils intègrent des programmes d’agriculture irriguée et de gestion durable des terres, sont de ces outils intégrateurs de politiques du développement qu’il s’agit de valoriser. La COP28 aura été l’occasion de présenter une de ces success stories en matière d’action climatique et de développement durable en provenance d’Afrique de l’Ouest.

Dans le cadre de la programmation officielle du Comité permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), The Bridge Tank, l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et la Société de Gestion de Manantali (SOGEM) ont co-organisé un side event pour partager les résultats d’une étude innovante sur la contribution des ouvrages hydroélectriques Manantali-Felou-Gouina au développement dans la zone sahélienne et de l’Afrique de l’Ouest. L’évènement s’inscrit dans un cadre d’échanges récurrents avec le Partenariat Français pour l’Eau (PFE) et le Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB).

Le side event a été organisé à l’occasion de la journée du « Global Goal on Adaptation », le 4 décembre 2023.

Comprendre et valoriser les contributions

Menée par Joël Ruet, l’étude présentée lors de cet évènement offre une analyse des différentes formes de contributions économiques du système d’ouvrages hydroélectriques de l’OMVS et de la SOGEM au développement durable de la zone sahélienne et de l’Afrique de l’Ouest.

Elle analyse pour cela l’effet d’entraînement rendu possible sur l’ensemble de la chaîne du développement. Contribution énergétique, hydraulique, agricole, socio-économique, ou encore à la restauration des terres dégradées et la lutte contre la salinité. Cela est sans compter les émissions de gaz à effet de serre évitées et la contribution historique au budget carbone mondial apportée par cette source d’énergie renouvelable.

Les paramètres d'analyse de l'étude
Les contributions des ouvrages et actions de l'OMVS-SOGEM

L’étude apporte une contribution innovante à la démonstration des liens forts entre atténuation et adaptation. Sa valeur se trouve également dans ses contributions de politique publique. Cette étude est en effet la première étude systémique depuis l’évaluation par les organismes bailleurs (KfW, BEI, AFD) en janvier 2009.

Plus qu’une mise à jour essentielle, elle mobilise les acquis de la recherche sur le développement durable fort et apporte une méthodologie innovante du traitement de l’économie du développement dans un contexte d’émergence post-Accord de Paris sur le climat. Les recommandations informent les pouvoirs publics nationaux et multi-latéraux quant aux bénéfices de politiques publiques : transition énergétique, émergence, stabilité du climat, finance verte, etc.

L’étude apporte également une contribution technique recensant les apports définis et évalués par des méthodologies complémentaires. Apports comptables, micro-économie, scénarios contra-factuels alternatifs, macro-économie et élasticité, valorisation GES évités, et enfin « valeur d’option réelle » des stratégies de développement régionales et nationales débloquées par les actifs du système Manantali-OMVS sont autant de contributions techniques différentes analysées dans le cadre de l’étude.

Contributeurs et partenaires de l’évènement

Le panel de l’évènement était composé de :

  • M. Aly Seydouba Soumah, Ministre de l’énergie, de l’hydraulique et des hydrocarbures, République de Guinée,
  • M. Nabil Ben Khatra, Secrétaire Exécutif de l’Observatoire du Sahara et du Sahel,
  • M. Mohamed Abdel Vetah, Haut Commissaire de l’OMVS,
  • M. Seydou Sané, Président du Conseil d’Administration de la SOGEM/OMVS,
  • M. Mohamed Mahmoud Sid’Elemine, Directeur Général de la SOGEM/OMVS,
  • M. Joël Ruet, économiste CNRS à l’Institut Interdisciplinaire sur l’Innovation, Associé Senior, Chaire Technology for Change, Ecole Polytechnique, Président de The Bridge Tank.

L’évènement a pu faciliter les échanges avec M. Jean-Luc Redaud, Président du Groupe de travail « Eau & Climat » du PFE, Mme Kathryn Bartlett, Soil Scientist pour AngloAmerican, M. Amadou Maiga Mahamadou, Directeur Général Adjoint de la Banque agricole du Niger, M. Abdoul Razak Baraze Saida, Directeur du crédit d’étude et partenariat du Secteur Agriculture et M. Abdou Nouridine Sanfo, Secrétariat Exécutif du Fonds Vert pour le Climat pour le Burkina Faso.

Aly Seydouba Soumah
Nabil Ben Khatra
Mohamed Abdel Vetah
Joël Ruet
Le barrage de Manantali

Contribuer à la paix dans un contexte de tensions croissantes – Une co-production The Bridge Tank & CGTN Dialogue

Durant le Forum de Paris pour la Paix en novembre dernier, The Bridge Tank a été coproducteur invité d’une édition spéciale de Dialogue, l’émission de débats phare de CGTN. L’émission était dédiée au thème de la paix et la coopération internationale dans un contexte de tensions grandissantes au niveau mondial, dans la continuité du thème du Forum de cette année: « Construire ensemble dans un monde de rivalité. » L’émission s’est penchée sur la nature et les causes de la rivalité, les défis à relever en matière de paix et les pistes possibles d’une collaboration à long terme.

Diffusée depuis Paris, l’émission a été animée par Xu Qinduo, présentateur de Dialogue, et Joel Ruet, président de The Bridge Tank, et a accueilli un panel varié d’experts du monde diplomatique, d’organisations de la société civile et de l’industrie pour traiter de ces sujets :

  • Stéphane Gompertz, ancien Ambassadeur en Autriche & en Éthiopie ; board member de The Bridge Tank,
  • Blessing Ibomo, Fondatrice de Bread’s Earth,
  • Jérémie Ni, Directeur de Chinform.
Revoir l’émission (en anglais)
Les questions abordées durant l’émission
  • Comment se traduit la rivalité dans le monde d’aujourd’hui ?

  • Quels sont les terrains d’entente possibles sur le changement climatique, la cybersécurité ainsi que les conflits en Ukraine, à Gaza, l’instabilité chronique dans certaines parties de l’Afrique, les crises humanitaires et la rivalité entre grandes puissances ?

  • Avec ces crises en cours, la politique d’endiguement technologique menée par les États-Unis à l’égard de la Chine, les tensions entre l’UE et la Chine, comment l’UE et la Chine peuvent-elles trouver des intérêts communs et développer leur coopération bilatérale ?

  • La coopération technologique entre l’UE et la Chine peut-elle être renforcée sans investissements, après le déraillement de l’accord d’investissement ? Les investissements sont-ils possibles sans la confiance ? Cette confiance peut-elle exister dans un monde en crise ?

  • Les crises récentes ont vu les Nations Unies de plus en plus divisées dans leurs votes et résolutions, avec des réponses particulièrement mitigées de la part du Sud. Comment analysez-vous le prétendu fossé entre le Sud et l’Occident ?

  • La Chine a récemment remporté un succès diplomatique au Moyen-Orient, en contribuant au rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Dans le même temps, l’Inde a annoncé un nouveau corridor économique reliant l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe lors du G20. Quel rôle pouvons-nous prévoir pour les grandes puissances émergentes dans l’ordre diplomatique mondial ?

Quelques citations de nos invités
Sur la rivalité

« Je pense qu’aujourd’hui, les rivalités et les désaccords semblent éclipser les défis communs auxquels nous sommes tous confrontés : des défis à long terme comme le changement climatique, le terrorisme, les pandémies parfois. Et nous avons tendance à oublier qu’au-delà de tous les différends que nous pouvons avoir entre nos pays respectifs, nous sommes confrontés aux mêmes défis pour nous, pour nos enfants et nos petits-enfants. Ces défis vont bien au-delà de nos désaccords actuels. »

Stéphane Gompertz, ancien Ambassadeur en Autriche & en Éthiopie ; board member de The Bridge Tank,

Sur le rôle des puissances émergentes

« Ces puissances émergentes vont jouer un rôle de plus en plus important. En effet, elles peuvent contribuer à améliorer les relations internationales et à résoudre les crises. […] Elles ont une grande influence et il est clair qu’il devrait y avoir plus de coopération entre toutes les puissances, les grands ou les petits pays du monde pour aider à faire avancer les choses. […] La tendance est à l’accroissement du rôle de ces pays émergents dans les affaires mondiales. À condition évidemment que les relations restent amicales, positives et pacifiques, ce rôle peut s’avérer très utile.Cela dépend évidemment de la manière dont chaque pays mène sa propre politique. 

Lorsque nous voyons l’agression insensée de la Russie contre l’Ukraine, nous espérons que l’influence actuelle de la Russie ne sera pas trop grande. 

Lorsque la crise sera terminée, les choses seront différentes. Nous avons besoin de la Russie, la Russie est un grand pays, nous avons toujours eu de bonnes relations avec elle. Ce qu’ils font en ce moment est absolument insensé et nous espérons que cela ne durera pas trop longtemps. Nous parlons beaucoup de multipolarisation, d’un monde multipolaire qui peut en effet être très utile. Le monde ne devrait pas être dominé par un seul pays, mais par une coopération entre tous les pays. »

 

Stéphane Gompertz, ancien Ambassadeur en Autriche & en Éthiopie ; board member de The Bridge Tank,

Faire entendre la voix de l’Afrique

« Je pense que l’une des erreurs que nous commettons est de classer l’Afrique comme une seule nation. L’Afrique compte 54 pays aux intérêts nationaux différents. Nous ne pouvons pas avoir une seule voix pour représenter l’Afrique, c’est impossible. L’Ukraine, par exemple, est la corbeille à pain dont dépendent la plupart des pays africains en termes de céréales et de pain. Je pense que les Nations unies doivent donner aux pays africains, et pas seulement à l’Union africaine, la possibilité d’exprimer leur voix et d’entendre ce qu’ils ont à dire, car les pays ont des intérêts économiques différents en tête, ainsi que des intérêts politiques et historiques qu’ils doivent prendre en compte. Il s’agit d’une relation complexe qui doit être prise en compte dans les divers pays africains. »

Blessing Ibomo, Fondatrice, Bread’s Earth

Sur la coopération technologique

« La Chine étant désormais le principal acteur mondial dans le domaine des batteries, avec 6 des 10 plus grands fabricants de batteries provenant de Chine, c’est un bon moyen pour l’Europe et la France, avec Stellantis et Renault, de travailler avec les Chinois, d’apprendre de la Chine. Et la Chine peut aussi apprendre des Européens. Par exemple, dans l’industrie automobile, la société française STMicroelectronics est le leader en matière de puces utilisées dans les voitures. Les Chinois peuvent apprendre d’eux. Lorsque nous travaillons ensemble, nous pouvons grandir ensemble. »

Jérémie Ni, Directeur de Chinform.

Sur la confiance et la dépendance

« Le mot confiance est très important. Les difficultés que nous rencontrons actuellement s’expliquent par un manque de confiance et de reconnaissance mutuelle des règles du jeu. Un élément qui peut y contribuer, du moins du côté européen, est la peur de la dépendance. Il y a un problème avec les minéraux et terres rares. Par exemple, les Pays-Bas ont décidé de mettre leur veto à l’exportation de semi-conducteurs vers la Chine, qui a riposté en interdisant l’exportation de germanium et de gallium vers l’ensemble de l’UE. Voilà le genre de mesures et de contre-mesures qui peuvent être préjudiciables. Si nous pouvions éliminer cette peur de la dépendance, en encourageant également d’autres sources afin d’équilibrer nos importations, nos exportations et l’utilisation des minéraux, peut-être que cette confiance pourrait apparaître. Mais les règles du jeu devraient être plus claires de part et d’autre ».

Stéphane Gompertz

FRANCE CULTURE – Inde : entre croissance éclatante, défis sociaux et insertion prudente dans l’économie mondiale

Alors que la croissance mondiale est en berne et que l’économie chinoise peine à se relancer, l’Inde semble afficher une santé économique à toute épreuve. Avec une population de 28 ans d’âge moyen, le pays le plus peuplé du globe et cinquième puissance économique mondiale affiche aujourd’hui une croissance de 6%. Mais que se cache-t-il derrière cette situation macroéconomique éclatante ?

Dans l’édition du 16 novembre intitulée « Inde : une croissance sans limites ? », l’émission Entendez-vous l’éco ? présentée par Tiphaine de Rocquigny sur France Culture s’est penchée sur le cas de ce pays qui attire les regards d’un monde qui ne le connait encore que très peu.

Joël Ruet, Président de The Bridge Tank et économiste CNRS à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation, chercheur senior de la Chaire Technology for Change à l’Ecole Polytechnique, était l’invité de France Culture. À ses côtés :

  • Catherine Bros Professeure d’économie à l’université de Tours et chercheuse au Laboratoire d’économie d’Orléans, spécialiste de l’économie indienne
  • Basudeb Chaudhuri Économiste, chercheur affilié au Centre d’études sud-asiatiques et himalayennes, le CESAH (unité mixte EHESS/CNRS) et de CREM (Centre de Recherche en Economie et Management, Université de Caen et CNRS)
La croissance indienne : sujet de convoitise en trompe-l’œil?

Avec une croissance constante avoisinant les 6%, la situation macroéconomique de l’Inde captive aujourd’hui l’attention de l’opinion internationale. Cinquième économie mondiale après avoir, non sans symbole, dépassé le Royaume-Uni et visant à devenir la troisième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et la Chine, l’objectif de l’Inde est fixé : atteindre les 5.000 milliards USD de PIB.

Avec une population jeune, une bonne situation démographique et donc un fort capital humain, tous les voyants semblent au vert pour le pays aux 1,4 milliards d’habitants.

Mais comme a pu le noter Joël Ruet en ouverture, cette santé économique et ce dynamisme national sont-ils bien pérennes et soutenables? En termes de PIB par habitants, l’Inde n’est de loin plus dans le peleton de tête et se classe 125ème au niveau mondial. Car pour que la croissance se traduise en développement, c’est au niveau de la création d’emploi qu’il faut regarder, comme l’a rappelé Catherine Bros.

Aujourd’hui, cette croissance indienne est principalement tirée par les services, un secteur gourmand en formation mais pas en main d’œuvre.

Inégalités et pauvreté

L’autre face de l’Inde n’est donc pas aussi éclatante. Avec près de 50% de la main d’œuvre dans un secteur primaire ne représentant qu’environ 15% du PIB, le fossé entre les villes et les campagnes est toujours bien visible. Le maintien de la croissance aux alentours des 6% depuis les grandes réformes des années 90 est devenu nécessaire pour continuer à fournir de l’emploi dans le secteur formel, alors que près de 3/4 des actifs sont dans le secteur informel, comme souligné par Basudeb Chaudhuri. Malgré cela, cette croissance peine à se répercuter dans le secteur de l’agriculture et dans l’économie rurale.

Là où la Chine a vu ces dernières décennies la pauvreté reculer à tous les niveaux et une classe moyenne prendre forme, l’Inde n’avance pas aussi vite, freinée en partie par son modèle fédéral selon Basudeb Chaudhuri.

Selon Catherine Bros, la pauvreté extrême a très largement diminué et la pauvreté intermédiaire a également entamé sa diminution. Toutefois, la pauvreté reste très forte, avec uniquement 20% de la population indienne y échappant. Les chiffres du gouvernement indien indiquent que 800 millions d’indiens, soit 2/3 de la population, touchent aujourd’hui une forme de subvention (ex. sécurité alimentaire, énergie), un point rappelé par Basudeb Chaudhuri.

Certaines politiques de lutte contre la pauvreté peuvent néanmoins être saluée selon Joël Ruet, celles-ci ayant permis de créer une identité numérique et l’ouverture d’un compte bancaire pour chaque indien jusque dans les villages, permettant ainsi une plus grande efficacité dans la redistribution des aides et l’accès des populations rurales aux services.

La formation: un enjeu d’avenir

Suite à la pandémie de COVID-19, la main d’œuvre dans l’agriculture s’est retrouvée à la hausse, rappelant que ce secteur reste un filet de sécurité pour de nombreux indiens dans un contexte de fragilité économique. Face à ces défis de développement, la formation reste un enjeu de taille.

Bien que près de 100% de la population indienne ait désormais accès à l’instruction primaire, l’instruction secondaire est le théâtre d’une réelle déperdition puisque 70% de la main d’œuvre n’a pas dépassé ce niveau d’instruction. Pis encore selon Basudeb Chaudhuri, le contenu des formations, en particulier celui offert par des institutions privées non contrôlées, est souvent dépourvu de connaissances opérationnelles nécessaires à l’intégration du marché du travail, rendant près de 70% des nouveaux diplômés indiens inemployables.

Souvent comparée à la Chine, l’Inde présente toutefois des différences historiques notables, en particulier dans le secteur industriel, qu’il est impératif de prendre en compte selon Joël Ruet. Là où l’industrialisation chinoise s’est étalée sur presque 70 ans, formant par là-même plusieurs générations d’ouvriers qualifiés, l’Inde n’a pas bénéficié d’une croissance industrielle comparable. Le rattrapage qui s’opère aujourd’hui dans le secteur secondaire s’appuie sur un capital humain ne venant pas d’un monde industriel mais bien paysan, exigeant tout un effort de formation.

Face à de telles contraintes, le temps d’attente pour un emploi qualifié augmente chez les jeunes. Les femmes, quant à elle, se retirent du marché du travail avec seulement 1 femme sur 5 ayant une activité professionnelle rémunérée. Ce retrait s’illustre en particulier dans les zones rurales avec un repli sur le travail non-rémunéré sur les exploitations agricoles. 

L’intégration économique d’un pays-continent

Malgré tous ces défis, l’Inde maintient sa croissance. Mais qu’en est-il de la place du pays dans l’économie mondiale?

Depuis son ouverture à la concurrence dans les années 90, l’Inde oscille entre ouverture et protectionnisme. Le taux d’intégration de l’économie indienne dans le commerce mondial demeure relativement faible aujourd’hui, ayant culminé à 20% dans les années 2010 mais étant redescendu à 10% depuis. L’Inde ne représente aujourd’hui que 1,7% des échanges mondiaux de biens et 3% pour les services.

Cette insertion frileuse se reflète également dans la politique économique mercantiliste de l’administration Modi qui souhaite limiter les importations tout en soutenant les exportations, en particulier pour les secteurs de hautes technologies à travers la création de champions nationaux. L’ambition annoncée par de récents programmes économiques est de rendre l’Inde autosuffisante, en privilégiant la production et l’intégration de l’économie nationale et une insertion stratégique dans les flux mondiaux.

Selon Joël Ruet, le développement interne national des entreprises technologiques indiennes permet déjà leur mondialisation puisque celles-ci sont confrontées à un marché intérieur de taille avec des centaines de millions d’utilisateurs. Elles doivent pouvoir gérer différentes cultures en termes de capital humain mais également développer une approche multi-site et cosmopolite prenant en compte la diversité des villes, langues et cultures du pays.

L’approche économique du gouvernement Modi, ni libérale au niveau domestique, ni au niveau international, est donc bien cohérente avec un contexte d’arrivée tardive de l’Inde dans l’économie mondiale et de tentation grandissante du protectionnisme. L’intégration de l’économie nationale et la création d’une base de production qui puisse être mercantiliste est une étape importante.

Retrouvez toutes les émissions avec Joël Ruet sur France Culture:

 

Summit of Minds 2023: Révolution technologique, géopolitique et finance durable

Du 15 au 17 septembre 2023, l’air alpin de Chamonix a inspiré les esprits créatifs et artisans du changement du monde entier réunis dans les Alpes pour le Summit of Minds de cette année sur le thème « Stretching Minds – Inspiring Change ». Deux de ces brillants esprits en présence étaient nuls autres que Djellil Bouzidi, économiste et fondateur d’Emena Advisory, et Pranjal Sharma, analyste économique et auteur de « The Next New – Navigating the Fifth Industrial Revolution » (Se frayer un chemin dans la cinquième révolution industrielle), tous deux board member de The Bridge Tank.

The Bridge Tank avait déjà pris part à l’édition 2021 du sommet.

Se penchant sur les questions économiques, sociétales, environnementales, technologiques et géopolitiques les plus pressantes du moment, le Summit of Minds a rassemblé des experts, investisseurs et praticiens de renom qui ont partagé leurs perspectives et exploré collectivement des approches créatives pour de nouvelles solutions.

Pranjal Sharma (centre)
Djellil Bouzidi (droite)
La révolution technologique dans un monde changeant

Durant le sommet, notre board member Pranjal Sharma s’est penché sur les thèmes de l’innovation technologique et de son exploitation, en les plaçant dans un contexte de dynamiques géopolitiques changeantes à travers le monde. Ces questions avaient déjà été abordées par M. Sharma lors du Davos Innovation Lunch 2022 de The Bridge Tank et lors du Forum économique mondial de Davos de cette année.

En matière de géopolitique, Pranjal Sharma a noté que ce qui est perçu à tort par beaucoup comme un désordre mondial grandissant est en fait un réaménagement du monde dans lequel de nouveaux alignements géopolitiques remettent en question la domination des pays de l’OCDE. Alors que les économies traditionnelles s’efforcent de s’adapter à ce climat changeant, les économies émergentes et en développement approfondissent la collaboration Sud-Sud, ce qui conduira inévitablement à l’accélération du commerce en devises régionales ( non-dollar) avec le soutien de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Inde et du Brésil. La cartographie de la logistique mondiale va subir de profonds changements puisque de nouveaux corridors économiques, comme l’IMEC, ont été annoncés entre l’Inde, l’Europe et le Moyen-Orient lors du dernier sommet du G20 en Inde.

La révolution technologique exige une action résolue de la part des gouvernements en termes de contrôle et de réglementation de la technologie, a déclaré M. Sharma. La protection des enfants et des communautés vulnérables au sein du monde numérique sera un enjeu sociétal clé durant les années à venir. Mais au-delà de ces défis, la révolution technologique aura un impact positif considérable sur le renforcement de la durabilité.

Tirant parti de son livre récemment publié « The Next New – Navigating the Fifth Industrial Revolution », Pranjal Sharma a souligné la transformation des modèles d’entreprise résultant de la cinquième révolution industrielle. Cette transformation est le résultat de trois facteurs : les technologies émergentes, l’urgence de la durabilité et le besoin d’équité sociale. L’émergence de nouveaux modèles d’entreprise générera de nouvelles sources de revenus d’une valeur de 25 000 milliards de dollars, ce qui aura un impact sur toutes les entreprises et tous les secteurs d’activité.

L’avenir des obligations liées au développement durable

À Chamonix, Djellil Bouzidi, économiste, fondateur d’Emena Advisory et board member de longue date de The Bridge Tank, s’est entretenu avec Eoin Murray, responsable des investissements, Federated Hermes, Royaume-Uni, sur le thème des obligations liées au développement durable (sustainability-linked bonds, SLB). M. Bouzidi, l’un des premiers partisans des SLB, dont il a exposé les principes en 2015, et l’un des principaux experts en la matière depuis lors, a apporté des éclaircissements sur ces obligations, dont le principal, contrairement aux obligations vertes standard, varie en fonction de la réalisation d’objectifs prédéterminés en matière de durabilité. La discussion a porté sur la croissance des SLB sur les marchés privés et auprès des émetteurs souverains, tout en analysant leur efficacité environnementale.

Après avoir conseillé des émetteurs du monde entier, et notamment le gouvernement chilien pour l’émission du premier SLB souverain au monde en mars 2022, M. Bouzidi a récemment tiré la sonnette d’alarme sur les lacunes et les approches problématiques du marché actuel des SLB, qui menacent la viabilité future de ces outils de financement durable.

En 2020, Djellil Bouzidi avait publié un article de référence sur le sujet pour le Forum officiel des institutions monétaires et financières, intitulé « How climate cuffs could save the planet » (Comment les bons climatiques pourraient sauver la planète).

CHINE: Innovation mondiale, recherche et diffusion des technologies à l’heure du « dérisquage »

Fort du partenariat de longue date entre The Bridge Tank et l’Institut des sciences et du développement de l’Académie chinoise des sciences (Institutes of Science and Development of the Chinese Academy of Sciences, CASISD), le plus important institut de recherche de Chine, Joël Ruet a été invité à intervenir en ouverture du Forum sur la coopération et la gouvernance de la science, de la technologie et de l’innovation mondiales de cette année. Ce forum, qui s’est tenu à Pékin le 25 septembre 2023, est la plus importante conférence annuelle sur l’innovation en Chine.

The Bridge Tank et le CASISD ont signé un MoU en 2018. Joël Ruet est également intervenu durant la session d’ouverture de la World Internet Conference organisée par le CASISD en Novembre 2020.

Dans un contexte de réouverture progressive de la Chine au monde, le discours d’ouverture de Joël Ruet au Forum a abordé les thèmes cruciaux de l’innovation, de la recherche, du développement et de la diffusion des technologies au niveau mondial à une époque marquée par la volonté de dérisquer les relations avec la Chine.

L’innovation mondiale dans des temps incertains de dérisquage

En 2023, le dérisquage des relations entre l’UE et la Chine est devenu la norme dans l’engagement de l’Europe vis-à-vis de la Chine. L’idée de  » dérisquer plutôt que de découpler  » a fait son chemin jusque dans le bureau ovale, les États-Unis ayant de plus en plus recours à cette approche dans leurs relations avec la Chine.

La coopération dans les technologies de base liées à la recherche fondamentale (par exemple, le nucléaire, la recherche génomique, l’intelligence artificielle) est également affectée par cette tendance au dérisquage, a fait remarquer M. Ruet. Il reste néanmoins des défis communs qui nécessitent une accélération des solutions au niveau mondial. Ils nécessiteront l’intervention de « diplomates technologiques » pour trouver un modus vivendi stable.

  • Dans le domaine du nucléaire, les surgénérateurs, les questions de sécurité, les technologies de non-prolifération, les combustibles de substitution (par exemple le thorium) ou la fusion nucléaire sont autant de « risques » qui ont déjà été pris, puisque la Chine est déjà un État doté de l’arme nucléaire. Le chemin vers un secteur nucléaire plus sûr, plus propre et non militaire doit donc être entrepris conjointement.
  • Dans le domaine de la génomique, M. Ruet a noté que la France et la Chine avaient coopéré au sein du centre de virologie de Wuhan. Lors de la pandémie de COVID-19, le partage de la séquence d’ADN s’est avéré utile pour développer plus rapidement des vaccins : à l’heure où plusieurs coronavirus ont été identifiés comme potentiellement mutables et nocifs, la transparence et la coopération internationales sont plus que jamais nécessaires. L’Assemblée générale des Nations unies vient d’approuver l’idée d’un fonds commun pour le développement de vaccins et la lutte contre les épidémies. C’est ce que The Bridge Tank avait préconisé en 2020, aux côtés de l’Internationale libérale et de l’Internationale socialiste. La virologie devrait donc être un autre secteur échappant au dérisquage.
  • L’IA présente assurément des caractéristiques différentes, dans la mesure où ses résultats peuvent se traduire beaucoup plus rapidement et plus largement en réglementations de la société, voire en « contrôle ». Dans ce cas, la rivalité systémique pourra rendre la coopération plus difficile. Cependant, la diplomatie technologique est nécessaire ici également et les discussions devront être maintenues, éventuellement avec la médiation de think tanks.
La recherche, le développement et la diffusion des technologies

L’innovation n’a jamais été « mondiale », a souligné Joël Ruet. Si la science est un état de vérité communément accepté et si la recherche offre des possibilités de coopération, le développement technologique n’est pas l’apanage des instituts de recherche, mais concerne des entreprises et des marchés. La science peut rester commune grâce aux publications et à la recherche fondamentale (ex : ITER dans le domaine de la fusion nucléaire).

Cependant, il apparaît que toutes les technologies au service de la transition écologique deviennent non seulement compétitives mais aussi des « avantages concurrentiels ». C’est le cas en Chine grâce à un effort de recherche-technologie dans lequel l’Académie chinoise des sciences joue un rôle central ; dans l’UE grâce à un Green Deal et à des paquets réglementaires qui s’orientent de plus en plus vers de  » nouveaux avantages compétitifs  » (en matière de carbone, de matériaux, d’impact humain, etc.), ou simplement grâce à une attractivité fondée sur les subventions aux États-Unis.

Un dialogue politique est important à cet égard. Il devrait rassembler sur une plateforme commune des scientifiques, des technologues, des décideurs en matière de politique commerciale et d’investissement et des décideurs en matière de sécurité nationale. En effet, ces derniers doivent être inclus car les mesures concrètes prises par les États-Unis en matière de rivalité sur les semi-conducteurs sont par exemple le résultat de la convergence d’un double processus qui peut être retracé jusqu’au rapport du département d’État américain de 2012 déclenché par la stratégie Chine 2025, et d’autre part au débat lancé par Mme Pritzker sous l’administration Obama sur les risques encourus par l’innovation du fait d’une économie chinoise délocalisée (un point déjà abordé dans le chapitre 5 du rapport de l’ISPI intitulé « China’s Belt and Road : A Game Changer ? »).

Bien que la science, la recherche, la technologie et l’économie ne soient pas nécessairement liées, dans l’état actuel du dérisquage – ainsi que dans le cadre politique de la Chine – elles le sont indubitablement devenues. Leur gouvernance doit impliquer différents courants de décideurs politiques, ce qui indique un autre rôle possible pour les think tanks et le CASISD. Il convient de noter que l’OTAN s’est intéressée à l’agenda technologique par le biais de la finance en lançant un fonds de capital-investissement pour éviter aux start-ups d’avoir « besoin de l’argent chinois ».

La diffusion des technologies

La transition écologique implique notamment la diffusion des technologies en même temps que l’innovation sur le marché, a souligné M. Ruet. Les « transferts de technologie » se font rarement sans innovation et sont en fait un moteur de cette dernière, aux côtés des entreprises.

Le rôle de la Chine en tant que place de marché et des entreprises technologiques chinoises dans les nouveaux matériaux, les nouvelles énergies et les nouvelles mobilités doit être analysé correctement.

Les travaux antérieurs de The Bridge Tank ont montré que les « transferts » de technologie ne se faisaient pas par le biais de coentreprises, mais par l’intermédiaire de fournisseurs, d’écosystèmes issus de la capitalisation de projets, d’un apprentissage dirigé par l’État ; tout cela dans le cadre d’un accord « technologies contre marchés » entre les entreprises internationales et la Chine. Il convient de noter que cela ne correspond ni à l’économie commerciale classique ni à l’économie du développement. Il s’agit d’une particularité chinoise.

La Chine ayant comblé son retard sur le reste du monde, il n’est plus possible d’utiliser l’approche « technologies contre marchés » : seules les approches « technologies contre technologies » ou « marchés contre marchés » peuvent encore être explorées.

Joel Ruet a fait valoir que chacune de ces approches était difficile à mettre en œuvre de manière isolée et improbable en ces temps de dérisquage. Les deux approches, prises conjointement sous la forme d’un « tit-for-tat », pourraient constituer l’avenir. Alors que les défis des échanges « technologies contre technologies » étaient abordés jusqu’à présent, une approche « marché contre marché », qui serait paradoxalement un retour à l’économie commerciale canonique, a été exclue dans le cadre du traité d’investissement UE-Chine, étant donné que de nouveaux avantages concurrentiels sont conçus autour des valeurs sociétales.

Seule une discussion globale entre l’UE et la Chine, combinant la recherche, la technologie, le commerce et l’investissement, pourrait faire émerger une éventuelle coopération, fût-elle limitée.

Ce n’est toutefois pas ce qui s’est matérialisé dernièrement et c’est ici que la communauté technologique a un rôle important à jouer pour communiquer les besoins de la planète, tout en gardant à l’esprit le dérisquage.

Accélérer les ODD et débloquer de nouveaux modèles d’engagement à mi-course de l’Agenda 2030

En amont de la Conférence des Nations unies sur les Objectifs de développement durable, Joel Ruet s’est joint à une table ronde animée par notre board member Judit Arenas dédiée à mettre en lumière de nouveaux modèles d’engagement transformateurs pouvant contribuer à accélérer la mise en œuvre et la réalisation des ODD de l’ONU.

Organisée le 14 juillet par APCO Worldwide et EY et présidée par Judit Arenas, directrice d’APCO Worldwide, les échanges ont porté sur les moyens d’accélérer les efforts pour atteindre les objectifs fixés par les ODD. L’Agenda 2030 étant arrivé à mi-parcours, la réunion a permis d’aborder les opportunités et les lacunes existantes dans la poursuite des ODD. Comment intégrer et mobiliser au mieux les parties prenantes dans tous les secteurs, favoriser un dialogue transformateur, obtenir des consensus et explorer de nouveaux modes d’engagement – tant de sujets qui ont rythmé les échanges.

Joel Ruet a ainsi partagé la perspective de The Bridge Tank et l’expérience accumulée en la matière au fil des ans. Se concentrant sur le continent africain, Joel Ruet a noté que grâce au soutien du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), un nombre croissant d’Etats avaient développé des stratégies de financement intégrées pour la réalisation des ODD. L’un des grands défis de notre temps est donc de savoir comment réaliser au mieux ces stratégies et mobiliser des financements internationaux.

Deux points sont à souligner ici:

  • Les programmes devront être élaborés sur la base de portefeuilles de projets ou de pré-projets. Cette logique d’origination des projets au niveau national assure un niveau de cohérence et d’homogénéité pour chaque pays. Aucune coordination internationale plus large n’est nécessaire à cet effet. Au contraire, cette approche garantit une plus grande lisibilité des programmes et des portefeuilles de projets. Elle s’appuie sur la science, les bonnes pratiques, les savoir-faire et les technologies, en particulier pour les ODD ayant une composante technique plus importante (par exemple, la gestion des ressources en eau, les sols et les terres, les énergies renouvelables). La communauté internationale et les banques panafricaines de développement financent et exploitent ces outils depuis des années dans la formulation de ces programmes.
  • Il est essentiel d’impliquer les institutions financières locales, sous-régionales et panafricaines dans les montages financiers qui en résultent. Une fois que les portefeuilles de projets et les programmes ont été dé-risqués par la communauté internationale, fournissant un degré d’assurance pour les programmes, ces derniers deviennent rentables. Il est donc nécessaire d’intégrer les institutions financières régionales dans leur financement. Cela garantit une plus grande égalité, l’accès à la rentabilité et le renforcement des capacités des institutions financières du Sud. Ce renforcement des capacités n’est pas en premier lieu institutionnel et organisationnel, mais se réalise à travers des actions concrètes.

La réunion s’est déroulée selon les règles de Chatham House. Elle a rassemblé des hauts responsables du secteur privé, des décideurs politiques, des chercheurs, universitaires, des organisations de la société civile et des membres de diverses organisations internationales et associations professionnelles.

FRANCE CULTURE – Crédits carbone des forêts tropicales d’Afrique : crise ou Eldorado ?

Dans la continuité des travaux de The Bridge Tank sur la finance verte et de notre investissement dans le cadre du G20 pour une nécessaire implication des organismes financiers du Sud dans la définition de cette dernière, Joël Ruet était l’invité du « Magazine du week-end » sur France Culture pour une émission dédiée aux crédits carbone dans la forêt tropicale en Afrique.

Alors que les projets de compensation carbone sur la base d’efforts de conservation des forêts se multiplient, l’efficacité de ces nouveaux mécanismes financiers est aujourd’hui remise en question. L’émission était l’occasion pour Joël Ruet d’échanger avec Alain Karsenty, Chercheur au Département « Environnements et Sociétés » du CIRAD et Wannes Hubau, Ingénieur biologiste spécialisé dans les forêts tropicales, professeur à l’université de Gand, sur les limites et opportunités de ces modèles de financement climat innovants.

Au micro de Marguerite Catton, Joël Ruet a introduit les grands défis rencontrés aujourd’hui dans la structuration d’outils de finance verte:

« Il y a une finance verte qui est en cours de structuration, qui est nécessaire mais qui n’existe pas, ce qui est le lieu de tous les dangers d’appropriation et d’expropriation. D’autre part, cette finance verte doit à la fois couvrir la finance pour le climat, pour le développement durable et pour la biodiversité. Il y a donc 3 finances qui n’existent pas, qui doivent se définir, se codéfinir simultanément, avec des parties prenantes très disparates : les populations, les états du Sud, les organismes du Nord, et les pouvoirs financiers du Nord. »

Dans ce contexte, les forêts tropicales africaines génèrent un intérêt tout particulier pour des projets de compensation carbone. Souvent décrites comme les poumons de la planète, ces forêts jouent un rôle clé dans la séquestration du carbone et constituent de fait des puits de carbone importants qu’il s’agit aujourd’hui de conserver. Les projets de compensation carbone sur la base d’actifs forestiers offrent ainsi une finance d’un nouveau genre,

« une finance qui ne va plus être dans les ordinateurs de Wall Street ou de la city mais géolocalisée dans des endroits où les gens vivent, où les états souverains essaient d’être souverains sur le plan économique. »

La structuration d’actifs financiers sur la base de la capacité de ces forêts à capter et séquestrer du carbone dépend toutefois de certaines conditions, comme a pu le noter Alain Karsenty, Chercheur au Département « Environnements et Sociétés » du CIRAD.

« Ce n’est pas parce qu’un pays a une forêt qui absorbe du CO2 qu’il peut vendre des crédits carbone, l’absorption doit être additionnelle. Il faut qu’un pays puisse démontrer qu’il a pris des mesures pour réduire la déforestation par rapport à un scénario de référence. »

Prenant l’exemple du Gabon, Joël Ruet a souligné les nécessaires arbitrages politiques à l’incorporation de la forêt tropicale dans la CDN du pays. Il s’agit en premier lieu de différencier ce qui relève du don de la nature d’une part et des efforts de protection consentis dans le puits de carbone actuel de l’autre, ainsi que de modéliser l’avenir, une tâche difficile tant l’incertitude est quasi-entière sur la réaction des forêts au changement climatique en cours.

Si la forêt gabonaise absorbe aujourd’hui 100 millions de tonne de CO2, le simple maintien d’une telle capacité d’absorption à l’horizon 2050 nécessitera des efforts de conservation et de non-déforestation importants. Ceux-ci impliquent des mesures inconditionnelles et d’autres conditionnelles au financement international.

La dichotomie entre eldorado & crise des crédits carbone émane donc également de l’incertitude autour du périmètre ainsi que de la durabilité du sous-jacent: de sa stabilité biologique dans le temps, des modèles scientifiques sur lesquels ces mécanismes de compensation reposent, et de la sincérité des mesures et certifications par des acteurs privés intéressés au résultat.

Selon Wannes Hubau, ingénieur biologiste spécialisé dans les forêts tropicales, professeur à l’université de Gand, l’augmentation de la concentration de carbone dans l’atmosphère affecte directement la forêt:

« avant les émissions de CO2 les forêts matures étaient en équilibre avec l’atmosphère donc il y avait du carbone séquestré par les arbres qui poussent et dégagé par les arbres qui meurent, mais maintenant on a découvert que cette pratique libre n’existe plus. A cause d’une fertilisation du CO2 il y a plus de croissance et donc plus de carbone capturé que de carbone qui échappe alors les forêts sont devenues un puits de carbone. »

De nombreux défis d’inclusivité et de justice sociale subsistent encore pour ce marché encore balbutiant,

« c’est un marché relativement jeune. Il faudra encore améliorer les réglementations pour que les fonds arrivent vraiment aux villages où se trouvent les gens qui protègent la forêt. »

Alain Karsenty pointe également du doigt les questions de crédibilité, d’efficacité et d’intégrité environnementale de ces compensations carbone.

« Tout est basé sur un scénario de référence. Cela peut être le passé, en comparant avec les niveaux de déforestation dans le passé […] ou alors un scénario business as usual, avec une déforestation augmentant dans des proportions prédéfinies pour répondre à des besoins de développement et de population qui augmente. Or ces scénarios sont à la main de ceux qui les produisent, c’est-à-dire les gens qui élaborent des projets, ou les états qui élaborent leurs scénarios de référence. On ne peut pas les contester et ces scénarios impliquent souvent de fortes augmentations de déforestation. […] Il y a un problème de crédibilité majeur du point de vue de l’intégrité environnementale de ces mécanismes. »

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