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FRANCE CULTURE – Inde : entre croissance éclatante, défis sociaux et insertion prudente dans l’économie mondiale

Alors que la croissance mondiale est en berne et que l’économie chinoise peine à se relancer, l’Inde semble afficher une santé économique à toute épreuve. Avec une population de 28 ans d’âge moyen, le pays le plus peuplé du globe et cinquième puissance économique mondiale affiche aujourd’hui une croissance de 6%. Mais que se cache-t-il derrière cette situation macroéconomique éclatante ?

Dans l’édition du 16 novembre intitulée « Inde : une croissance sans limites ? », l’émission Entendez-vous l’éco ? présentée par Tiphaine de Rocquigny sur France Culture s’est penchée sur le cas de ce pays qui attire les regards d’un monde qui ne le connait encore que très peu.

Joël Ruet, Président de The Bridge Tank et économiste CNRS à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation, chercheur senior de la Chaire Technology for Change à l’Ecole Polytechnique, était l’invité de France Culture. À ses côtés :

  • Catherine Bros Professeure d’économie à l’université de Tours et chercheuse au Laboratoire d’économie d’Orléans, spécialiste de l’économie indienne
  • Basudeb Chaudhuri Économiste, chercheur affilié au Centre d’études sud-asiatiques et himalayennes, le CESAH (unité mixte EHESS/CNRS) et de CREM (Centre de Recherche en Economie et Management, Université de Caen et CNRS)
La croissance indienne : sujet de convoitise en trompe-l’œil?

Avec une croissance constante avoisinant les 6%, la situation macroéconomique de l’Inde captive aujourd’hui l’attention de l’opinion internationale. Cinquième économie mondiale après avoir, non sans symbole, dépassé le Royaume-Uni et visant à devenir la troisième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et la Chine, l’objectif de l’Inde est fixé : atteindre les 5.000 milliards USD de PIB.

Avec une population jeune, une bonne situation démographique et donc un fort capital humain, tous les voyants semblent au vert pour le pays aux 1,4 milliards d’habitants.

Mais comme a pu le noter Joël Ruet en ouverture, cette santé économique et ce dynamisme national sont-ils bien pérennes et soutenables? En termes de PIB par habitants, l’Inde n’est de loin plus dans le peleton de tête et se classe 125ème au niveau mondial. Car pour que la croissance se traduise en développement, c’est au niveau de la création d’emploi qu’il faut regarder, comme l’a rappelé Catherine Bros.

Aujourd’hui, cette croissance indienne est principalement tirée par les services, un secteur gourmand en formation mais pas en main d’œuvre.

Inégalités et pauvreté

L’autre face de l’Inde n’est donc pas aussi éclatante. Avec près de 50% de la main d’œuvre dans un secteur primaire ne représentant qu’environ 15% du PIB, le fossé entre les villes et les campagnes est toujours bien visible. Le maintien de la croissance aux alentours des 6% depuis les grandes réformes des années 90 est devenu nécessaire pour continuer à fournir de l’emploi dans le secteur formel, alors que près de 3/4 des actifs sont dans le secteur informel, comme souligné par Basudeb Chaudhuri. Malgré cela, cette croissance peine à se répercuter dans le secteur de l’agriculture et dans l’économie rurale.

Là où la Chine a vu ces dernières décennies la pauvreté reculer à tous les niveaux et une classe moyenne prendre forme, l’Inde n’avance pas aussi vite, freinée en partie par son modèle fédéral selon Basudeb Chaudhuri.

Selon Catherine Bros, la pauvreté extrême a très largement diminué et la pauvreté intermédiaire a également entamé sa diminution. Toutefois, la pauvreté reste très forte, avec uniquement 20% de la population indienne y échappant. Les chiffres du gouvernement indien indiquent que 800 millions d’indiens, soit 2/3 de la population, touchent aujourd’hui une forme de subvention (ex. sécurité alimentaire, énergie), un point rappelé par Basudeb Chaudhuri.

Certaines politiques de lutte contre la pauvreté peuvent néanmoins être saluée selon Joël Ruet, celles-ci ayant permis de créer une identité numérique et l’ouverture d’un compte bancaire pour chaque indien jusque dans les villages, permettant ainsi une plus grande efficacité dans la redistribution des aides et l’accès des populations rurales aux services.

La formation: un enjeu d’avenir

Suite à la pandémie de COVID-19, la main d’œuvre dans l’agriculture s’est retrouvée à la hausse, rappelant que ce secteur reste un filet de sécurité pour de nombreux indiens dans un contexte de fragilité économique. Face à ces défis de développement, la formation reste un enjeu de taille.

Bien que près de 100% de la population indienne ait désormais accès à l’instruction primaire, l’instruction secondaire est le théâtre d’une réelle déperdition puisque 70% de la main d’œuvre n’a pas dépassé ce niveau d’instruction. Pis encore selon Basudeb Chaudhuri, le contenu des formations, en particulier celui offert par des institutions privées non contrôlées, est souvent dépourvu de connaissances opérationnelles nécessaires à l’intégration du marché du travail, rendant près de 70% des nouveaux diplômés indiens inemployables.

Souvent comparée à la Chine, l’Inde présente toutefois des différences historiques notables, en particulier dans le secteur industriel, qu’il est impératif de prendre en compte selon Joël Ruet. Là où l’industrialisation chinoise s’est étalée sur presque 70 ans, formant par là-même plusieurs générations d’ouvriers qualifiés, l’Inde n’a pas bénéficié d’une croissance industrielle comparable. Le rattrapage qui s’opère aujourd’hui dans le secteur secondaire s’appuie sur un capital humain ne venant pas d’un monde industriel mais bien paysan, exigeant tout un effort de formation.

Face à de telles contraintes, le temps d’attente pour un emploi qualifié augmente chez les jeunes. Les femmes, quant à elle, se retirent du marché du travail avec seulement 1 femme sur 5 ayant une activité professionnelle rémunérée. Ce retrait s’illustre en particulier dans les zones rurales avec un repli sur le travail non-rémunéré sur les exploitations agricoles. 

L’intégration économique d’un pays-continent

Malgré tous ces défis, l’Inde maintient sa croissance. Mais qu’en est-il de la place du pays dans l’économie mondiale?

Depuis son ouverture à la concurrence dans les années 90, l’Inde oscille entre ouverture et protectionnisme. Le taux d’intégration de l’économie indienne dans le commerce mondial demeure relativement faible aujourd’hui, ayant culminé à 20% dans les années 2010 mais étant redescendu à 10% depuis. L’Inde ne représente aujourd’hui que 1,7% des échanges mondiaux de biens et 3% pour les services.

Cette insertion frileuse se reflète également dans la politique économique mercantiliste de l’administration Modi qui souhaite limiter les importations tout en soutenant les exportations, en particulier pour les secteurs de hautes technologies à travers la création de champions nationaux. L’ambition annoncée par de récents programmes économiques est de rendre l’Inde autosuffisante, en privilégiant la production et l’intégration de l’économie nationale et une insertion stratégique dans les flux mondiaux.

Selon Joël Ruet, le développement interne national des entreprises technologiques indiennes permet déjà leur mondialisation puisque celles-ci sont confrontées à un marché intérieur de taille avec des centaines de millions d’utilisateurs. Elles doivent pouvoir gérer différentes cultures en termes de capital humain mais également développer une approche multi-site et cosmopolite prenant en compte la diversité des villes, langues et cultures du pays.

L’approche économique du gouvernement Modi, ni libérale au niveau domestique, ni au niveau international, est donc bien cohérente avec un contexte d’arrivée tardive de l’Inde dans l’économie mondiale et de tentation grandissante du protectionnisme. L’intégration de l’économie nationale et la création d’une base de production qui puisse être mercantiliste est une étape importante.

Retrouvez toutes les émissions avec Joël Ruet sur France Culture:

 

CHINE: Innovation mondiale, recherche et diffusion des technologies à l’heure du « dérisquage »

Fort du partenariat de longue date entre The Bridge Tank et l’Institut des sciences et du développement de l’Académie chinoise des sciences (Institutes of Science and Development of the Chinese Academy of Sciences, CASISD), le plus important institut de recherche de Chine, Joël Ruet a été invité à intervenir en ouverture du Forum sur la coopération et la gouvernance de la science, de la technologie et de l’innovation mondiales de cette année. Ce forum, qui s’est tenu à Pékin le 25 septembre 2023, est la plus importante conférence annuelle sur l’innovation en Chine.

The Bridge Tank et le CASISD ont signé un MoU en 2018. Joël Ruet est également intervenu durant la session d’ouverture de la World Internet Conference organisée par le CASISD en Novembre 2020.

Dans un contexte de réouverture progressive de la Chine au monde, le discours d’ouverture de Joël Ruet au Forum a abordé les thèmes cruciaux de l’innovation, de la recherche, du développement et de la diffusion des technologies au niveau mondial à une époque marquée par la volonté de dérisquer les relations avec la Chine.

L’innovation mondiale dans des temps incertains de dérisquage

En 2023, le dérisquage des relations entre l’UE et la Chine est devenu la norme dans l’engagement de l’Europe vis-à-vis de la Chine. L’idée de  » dérisquer plutôt que de découpler  » a fait son chemin jusque dans le bureau ovale, les États-Unis ayant de plus en plus recours à cette approche dans leurs relations avec la Chine.

La coopération dans les technologies de base liées à la recherche fondamentale (par exemple, le nucléaire, la recherche génomique, l’intelligence artificielle) est également affectée par cette tendance au dérisquage, a fait remarquer M. Ruet. Il reste néanmoins des défis communs qui nécessitent une accélération des solutions au niveau mondial. Ils nécessiteront l’intervention de « diplomates technologiques » pour trouver un modus vivendi stable.

  • Dans le domaine du nucléaire, les surgénérateurs, les questions de sécurité, les technologies de non-prolifération, les combustibles de substitution (par exemple le thorium) ou la fusion nucléaire sont autant de « risques » qui ont déjà été pris, puisque la Chine est déjà un État doté de l’arme nucléaire. Le chemin vers un secteur nucléaire plus sûr, plus propre et non militaire doit donc être entrepris conjointement.
  • Dans le domaine de la génomique, M. Ruet a noté que la France et la Chine avaient coopéré au sein du centre de virologie de Wuhan. Lors de la pandémie de COVID-19, le partage de la séquence d’ADN s’est avéré utile pour développer plus rapidement des vaccins : à l’heure où plusieurs coronavirus ont été identifiés comme potentiellement mutables et nocifs, la transparence et la coopération internationales sont plus que jamais nécessaires. L’Assemblée générale des Nations unies vient d’approuver l’idée d’un fonds commun pour le développement de vaccins et la lutte contre les épidémies. C’est ce que The Bridge Tank avait préconisé en 2020, aux côtés de l’Internationale libérale et de l’Internationale socialiste. La virologie devrait donc être un autre secteur échappant au dérisquage.
  • L’IA présente assurément des caractéristiques différentes, dans la mesure où ses résultats peuvent se traduire beaucoup plus rapidement et plus largement en réglementations de la société, voire en « contrôle ». Dans ce cas, la rivalité systémique pourra rendre la coopération plus difficile. Cependant, la diplomatie technologique est nécessaire ici également et les discussions devront être maintenues, éventuellement avec la médiation de think tanks.
La recherche, le développement et la diffusion des technologies

L’innovation n’a jamais été « mondiale », a souligné Joël Ruet. Si la science est un état de vérité communément accepté et si la recherche offre des possibilités de coopération, le développement technologique n’est pas l’apanage des instituts de recherche, mais concerne des entreprises et des marchés. La science peut rester commune grâce aux publications et à la recherche fondamentale (ex : ITER dans le domaine de la fusion nucléaire).

Cependant, il apparaît que toutes les technologies au service de la transition écologique deviennent non seulement compétitives mais aussi des « avantages concurrentiels ». C’est le cas en Chine grâce à un effort de recherche-technologie dans lequel l’Académie chinoise des sciences joue un rôle central ; dans l’UE grâce à un Green Deal et à des paquets réglementaires qui s’orientent de plus en plus vers de  » nouveaux avantages compétitifs  » (en matière de carbone, de matériaux, d’impact humain, etc.), ou simplement grâce à une attractivité fondée sur les subventions aux États-Unis.

Un dialogue politique est important à cet égard. Il devrait rassembler sur une plateforme commune des scientifiques, des technologues, des décideurs en matière de politique commerciale et d’investissement et des décideurs en matière de sécurité nationale. En effet, ces derniers doivent être inclus car les mesures concrètes prises par les États-Unis en matière de rivalité sur les semi-conducteurs sont par exemple le résultat de la convergence d’un double processus qui peut être retracé jusqu’au rapport du département d’État américain de 2012 déclenché par la stratégie Chine 2025, et d’autre part au débat lancé par Mme Pritzker sous l’administration Obama sur les risques encourus par l’innovation du fait d’une économie chinoise délocalisée (un point déjà abordé dans le chapitre 5 du rapport de l’ISPI intitulé « China’s Belt and Road : A Game Changer ? »).

Bien que la science, la recherche, la technologie et l’économie ne soient pas nécessairement liées, dans l’état actuel du dérisquage – ainsi que dans le cadre politique de la Chine – elles le sont indubitablement devenues. Leur gouvernance doit impliquer différents courants de décideurs politiques, ce qui indique un autre rôle possible pour les think tanks et le CASISD. Il convient de noter que l’OTAN s’est intéressée à l’agenda technologique par le biais de la finance en lançant un fonds de capital-investissement pour éviter aux start-ups d’avoir « besoin de l’argent chinois ».

La diffusion des technologies

La transition écologique implique notamment la diffusion des technologies en même temps que l’innovation sur le marché, a souligné M. Ruet. Les « transferts de technologie » se font rarement sans innovation et sont en fait un moteur de cette dernière, aux côtés des entreprises.

Le rôle de la Chine en tant que place de marché et des entreprises technologiques chinoises dans les nouveaux matériaux, les nouvelles énergies et les nouvelles mobilités doit être analysé correctement.

Les travaux antérieurs de The Bridge Tank ont montré que les « transferts » de technologie ne se faisaient pas par le biais de coentreprises, mais par l’intermédiaire de fournisseurs, d’écosystèmes issus de la capitalisation de projets, d’un apprentissage dirigé par l’État ; tout cela dans le cadre d’un accord « technologies contre marchés » entre les entreprises internationales et la Chine. Il convient de noter que cela ne correspond ni à l’économie commerciale classique ni à l’économie du développement. Il s’agit d’une particularité chinoise.

La Chine ayant comblé son retard sur le reste du monde, il n’est plus possible d’utiliser l’approche « technologies contre marchés » : seules les approches « technologies contre technologies » ou « marchés contre marchés » peuvent encore être explorées.

Joel Ruet a fait valoir que chacune de ces approches était difficile à mettre en œuvre de manière isolée et improbable en ces temps de dérisquage. Les deux approches, prises conjointement sous la forme d’un « tit-for-tat », pourraient constituer l’avenir. Alors que les défis des échanges « technologies contre technologies » étaient abordés jusqu’à présent, une approche « marché contre marché », qui serait paradoxalement un retour à l’économie commerciale canonique, a été exclue dans le cadre du traité d’investissement UE-Chine, étant donné que de nouveaux avantages concurrentiels sont conçus autour des valeurs sociétales.

Seule une discussion globale entre l’UE et la Chine, combinant la recherche, la technologie, le commerce et l’investissement, pourrait faire émerger une éventuelle coopération, fût-elle limitée.

Ce n’est toutefois pas ce qui s’est matérialisé dernièrement et c’est ici que la communauté technologique a un rôle important à jouer pour communiquer les besoins de la planète, tout en gardant à l’esprit le dérisquage.

Accélérer les ODD et débloquer de nouveaux modèles d’engagement à mi-course de l’Agenda 2030

En amont de la Conférence des Nations unies sur les Objectifs de développement durable, Joel Ruet s’est joint à une table ronde animée par notre board member Judit Arenas dédiée à mettre en lumière de nouveaux modèles d’engagement transformateurs pouvant contribuer à accélérer la mise en œuvre et la réalisation des ODD de l’ONU.

Organisée le 14 juillet par APCO Worldwide et EY et présidée par Judit Arenas, directrice d’APCO Worldwide, les échanges ont porté sur les moyens d’accélérer les efforts pour atteindre les objectifs fixés par les ODD. L’Agenda 2030 étant arrivé à mi-parcours, la réunion a permis d’aborder les opportunités et les lacunes existantes dans la poursuite des ODD. Comment intégrer et mobiliser au mieux les parties prenantes dans tous les secteurs, favoriser un dialogue transformateur, obtenir des consensus et explorer de nouveaux modes d’engagement – tant de sujets qui ont rythmé les échanges.

Joel Ruet a ainsi partagé la perspective de The Bridge Tank et l’expérience accumulée en la matière au fil des ans. Se concentrant sur le continent africain, Joel Ruet a noté que grâce au soutien du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), un nombre croissant d’Etats avaient développé des stratégies de financement intégrées pour la réalisation des ODD. L’un des grands défis de notre temps est donc de savoir comment réaliser au mieux ces stratégies et mobiliser des financements internationaux.

Deux points sont à souligner ici:

  • Les programmes devront être élaborés sur la base de portefeuilles de projets ou de pré-projets. Cette logique d’origination des projets au niveau national assure un niveau de cohérence et d’homogénéité pour chaque pays. Aucune coordination internationale plus large n’est nécessaire à cet effet. Au contraire, cette approche garantit une plus grande lisibilité des programmes et des portefeuilles de projets. Elle s’appuie sur la science, les bonnes pratiques, les savoir-faire et les technologies, en particulier pour les ODD ayant une composante technique plus importante (par exemple, la gestion des ressources en eau, les sols et les terres, les énergies renouvelables). La communauté internationale et les banques panafricaines de développement financent et exploitent ces outils depuis des années dans la formulation de ces programmes.
  • Il est essentiel d’impliquer les institutions financières locales, sous-régionales et panafricaines dans les montages financiers qui en résultent. Une fois que les portefeuilles de projets et les programmes ont été dé-risqués par la communauté internationale, fournissant un degré d’assurance pour les programmes, ces derniers deviennent rentables. Il est donc nécessaire d’intégrer les institutions financières régionales dans leur financement. Cela garantit une plus grande égalité, l’accès à la rentabilité et le renforcement des capacités des institutions financières du Sud. Ce renforcement des capacités n’est pas en premier lieu institutionnel et organisationnel, mais se réalise à travers des actions concrètes.

La réunion s’est déroulée selon les règles de Chatham House. Elle a rassemblé des hauts responsables du secteur privé, des décideurs politiques, des chercheurs, universitaires, des organisations de la société civile et des membres de diverses organisations internationales et associations professionnelles.

FRANCE CULTURE – Crédits carbone des forêts tropicales d’Afrique : crise ou Eldorado ?

Dans la continuité des travaux de The Bridge Tank sur la finance verte et de notre investissement dans le cadre du G20 pour une nécessaire implication des organismes financiers du Sud dans la définition de cette dernière, Joël Ruet était l’invité du « Magazine du week-end » sur France Culture pour une émission dédiée aux crédits carbone dans la forêt tropicale en Afrique.

Alors que les projets de compensation carbone sur la base d’efforts de conservation des forêts se multiplient, l’efficacité de ces nouveaux mécanismes financiers est aujourd’hui remise en question. L’émission était l’occasion pour Joël Ruet d’échanger avec Alain Karsenty, Chercheur au Département « Environnements et Sociétés » du CIRAD et Wannes Hubau, Ingénieur biologiste spécialisé dans les forêts tropicales, professeur à l’université de Gand, sur les limites et opportunités de ces modèles de financement climat innovants.

Au micro de Marguerite Catton, Joël Ruet a introduit les grands défis rencontrés aujourd’hui dans la structuration d’outils de finance verte:

« Il y a une finance verte qui est en cours de structuration, qui est nécessaire mais qui n’existe pas, ce qui est le lieu de tous les dangers d’appropriation et d’expropriation. D’autre part, cette finance verte doit à la fois couvrir la finance pour le climat, pour le développement durable et pour la biodiversité. Il y a donc 3 finances qui n’existent pas, qui doivent se définir, se codéfinir simultanément, avec des parties prenantes très disparates : les populations, les états du Sud, les organismes du Nord, et les pouvoirs financiers du Nord. »

Dans ce contexte, les forêts tropicales africaines génèrent un intérêt tout particulier pour des projets de compensation carbone. Souvent décrites comme les poumons de la planète, ces forêts jouent un rôle clé dans la séquestration du carbone et constituent de fait des puits de carbone importants qu’il s’agit aujourd’hui de conserver. Les projets de compensation carbone sur la base d’actifs forestiers offrent ainsi une finance d’un nouveau genre,

« une finance qui ne va plus être dans les ordinateurs de Wall Street ou de la city mais géolocalisée dans des endroits où les gens vivent, où les états souverains essaient d’être souverains sur le plan économique. »

La structuration d’actifs financiers sur la base de la capacité de ces forêts à capter et séquestrer du carbone dépend toutefois de certaines conditions, comme a pu le noter Alain Karsenty, Chercheur au Département « Environnements et Sociétés » du CIRAD.

« Ce n’est pas parce qu’un pays a une forêt qui absorbe du CO2 qu’il peut vendre des crédits carbone, l’absorption doit être additionnelle. Il faut qu’un pays puisse démontrer qu’il a pris des mesures pour réduire la déforestation par rapport à un scénario de référence. »

Prenant l’exemple du Gabon, Joël Ruet a souligné les nécessaires arbitrages politiques à l’incorporation de la forêt tropicale dans la CDN du pays. Il s’agit en premier lieu de différencier ce qui relève du don de la nature d’une part et des efforts de protection consentis dans le puits de carbone actuel de l’autre, ainsi que de modéliser l’avenir, une tâche difficile tant l’incertitude est quasi-entière sur la réaction des forêts au changement climatique en cours.

Si la forêt gabonaise absorbe aujourd’hui 100 millions de tonne de CO2, le simple maintien d’une telle capacité d’absorption à l’horizon 2050 nécessitera des efforts de conservation et de non-déforestation importants. Ceux-ci impliquent des mesures inconditionnelles et d’autres conditionnelles au financement international.

La dichotomie entre eldorado & crise des crédits carbone émane donc également de l’incertitude autour du périmètre ainsi que de la durabilité du sous-jacent: de sa stabilité biologique dans le temps, des modèles scientifiques sur lesquels ces mécanismes de compensation reposent, et de la sincérité des mesures et certifications par des acteurs privés intéressés au résultat.

Selon Wannes Hubau, ingénieur biologiste spécialisé dans les forêts tropicales, professeur à l’université de Gand, l’augmentation de la concentration de carbone dans l’atmosphère affecte directement la forêt:

« avant les émissions de CO2 les forêts matures étaient en équilibre avec l’atmosphère donc il y avait du carbone séquestré par les arbres qui poussent et dégagé par les arbres qui meurent, mais maintenant on a découvert que cette pratique libre n’existe plus. A cause d’une fertilisation du CO2 il y a plus de croissance et donc plus de carbone capturé que de carbone qui échappe alors les forêts sont devenues un puits de carbone. »

De nombreux défis d’inclusivité et de justice sociale subsistent encore pour ce marché encore balbutiant,

« c’est un marché relativement jeune. Il faudra encore améliorer les réglementations pour que les fonds arrivent vraiment aux villages où se trouvent les gens qui protègent la forêt. »

Alain Karsenty pointe également du doigt les questions de crédibilité, d’efficacité et d’intégrité environnementale de ces compensations carbone.

« Tout est basé sur un scénario de référence. Cela peut être le passé, en comparant avec les niveaux de déforestation dans le passé […] ou alors un scénario business as usual, avec une déforestation augmentant dans des proportions prédéfinies pour répondre à des besoins de développement et de population qui augmente. Or ces scénarios sont à la main de ceux qui les produisent, c’est-à-dire les gens qui élaborent des projets, ou les états qui élaborent leurs scénarios de référence. On ne peut pas les contester et ces scénarios impliquent souvent de fortes augmentations de déforestation. […] Il y a un problème de crédibilité majeur du point de vue de l’intégrité environnementale de ces mécanismes. »

OPENBOX TV avec Alain Juillet – Inde/France: un partenariat stratégique

À l’occasion de la visite d’État du premier ministre indien Narendra Modi en France, reçu comme invité d’honneur du défilé du 14 juillet, Joël Ruet était l’invité d’Alain Juillet, ancien Haut-Commissaire à l’Intelligence Économique à Matignon, sur OpenBoxTV pour une émission spéciale sur l’Inde et son importance partenariale stratégique pour la France.

« L’Inde est un pays plus vaste que le monde, » disait le poète et ancien ambassadeur du Mexique en Inde Octavio Paz. C’est à partir de ce constat que Joël Ruet et Alain Juillet ont exploré ensemble la diversité et complexité sociétale, politique, économique et géopolitique de la « plus grande démocratie du monde ». De la Chine à la France, en passant par l’Angleterre, Joël Ruet a également abordé le positionnement stratégique de l’Inde face au monde, entre non-alignement et alliances partielles, et l’importance d’un partenariat continu entre la France et l’Inde.

Retrouvez l’émission en intégralité:

Échanges avec François de Rugy et l’Ambassadrice du Kazakhstan sur l’énergie et la relation bilatérale France-Kazakhstan

Le 30 juin 2023, Joël Ruet s’est entretenu avec l’ancien Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire, et ancien Président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy, et l’actuelle Ambassadrice du Kazakhstan en France, Gulsara Arystankulova, sur la relation bilatérale entre la France et le Kazakhstan et les perspectives de partenariats énergétiques et technologiques entre les deux pays.

Ces échanges se sont déroulés dans le cadre d’un colloque organisé dans l’enceinte du Sénat sur le thème « Souveraineté énergétique de l’Europe et de la France : quelles solutions, quels partenaires ? » L’action récente de The Bridge Tank au Kazakhstan s’illustre notamment par notre contribution au développement d’un méchanisme d’enchères pour les énergies renouvelables en partenariat avec le PNUD en 2021 et la mise en lumière des défis rencontrés par les investisseurs étrangers dans le pays.

Ambitions et coopérations futurs

Durant son intervention, l’Ambassadrice Gulsara Arystankulova a insisté sur la profondeur des relations entre la France et le Kazakhstan et l’étroite coopération qui relie les deux pays dans le domaine énergétique. En novembre 2022, le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev avait ainsi été reçu à Paris par le président Macron. Cette coopération s’est particulièrement renforcée depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Kazakhstan offrant une alternative importante au pétrole et au gaz russe. Riche en matières premières et géant pétrolier d’Asie Centrale, le pays joue un rôle clé dans l’approvisionnement énergétique de l’Europe et sera un acteur central de l’avenir énergétique du continent.

Car malgré son statut de géant pétrolier, le Kazakhstan mène une stratégie de transition énergétique ambitieuse qui vise à gazéifier son mix énergétique et à atteindre 50% d’énergies renouvelables d’ici 2050. Pour répondre aux défis d’approvisionnement et d’interconnexion liés à la taille du pays, le Kazakhstan mise sur une dynamique de décentralisation énergétique qui s’appuie sur des mini-systèmes énergétiques verts  subventionnés par l’État.

L’ambition de neutralité carbone du Kazakhstan à l’horizon 2060 s’appuie sur des atouts non-négligeables. Avec ses grands espaces, son fort ensoleillement et ses ressources en terres rares, le pays présente un fort potentiel pour le développement d’énergies renouvelables. Des groupes français se positionnent déjà, comme par exemple TotalEnergies qui a lancé un projet de parc éolien terrestre de 1GW dans la région de Zhambyl au sud du Kazakhstan, en partenariat avec le National Wealth Fund Samruk-Kazyna et la National Company KazMunayGas.

Partenariats et enjeux de souveraineté

Selon Joël Ruet, de nombreuses perspectives de coopération énergétique, technique et technologique existent entre la France et le Kazakhstan. Premier producteur mondial d’uranium, le Kazakhstan fournit par exemple l’uranium nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires françaises, à travers une coopération étroite avec le géant français du nucléaire Orano.

En tant que troisième investisseur étranger au Kazakhstan, la France a tout intérêt à se positionner afin de générer des nouveaux partenariats et de lancer des nouvelles filières, mais également afin de continuer de développer ses savoir-faire et ressources humaines, en particulier à travers le nucléaire et l’hydrogène. La coopération entre la France et le Kazakhstan ne peut donc pas se limiter à sa composante énergétique et à l’approvisionnement de matières premières. Cette coopération doit enrichir son volet technique et technologique afin de développer la recherche, la connaissance, et l’innovation communes dans le secteur.

Dans le cadre de ces partenariats, il est important de considérer l’énergie sous ses différentes formes, non seulement à travers la question de l’électrification mais en prenant en compte l’énergie sous sa forme liquide et gazeuse puisque celle-ci présente une part importante des mix énergétiques.

Plaçant ce constat dans la réflexion sur la souveraineté énergétique française, François de Rugy a insisté sur le fait que cette dernière n’était pas seulement une question d’électricité mais de pétrole et de gaz – des ressources dont la quasi intégralité est importée dans le cas de la France. Pour assurer la sécurité d’approvisionnement, il faudra donc diversifier les sources d’approvisionnement mais également électrifier des usages en décarbonant les transports, le chauffage, ou encore l’industrie.

Néanmois, la France a ces dernières années fait face à un nouveau défi découlant de l’affaiblissement du taux de disponibilité des centrales nucléaires pour des raisons de maintenance et de capacité de production en baisse. Selon François de Rugy, il est donc crucial d’investir à la fois dans les énergies renouvelabes et dans le renouvellement du parc nucléaire français en utilisant les forces et expertises françaises dans ces domaines.

Le développement énergétique du Kazakhstan présente indubitablement un fort potentiel de coopération avec la France et l’Europe. Si celui-ci permet actuellement d’assurer l’approvisionnement en combustibles fossiles au vieux continent, le pays sera dans le futur un partenaire important de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables et décarbonées.

B20 Inde – Dernière réunion du Conseil d’Action sur l’Intégration Économique Africaine

Après 6 mois de travail et d’engagement proactif de la part de ses membres, le Conseil d’action du B20 Inde sur l’intégration économique africaine s’est réuni pour sa quatrième et dernière réunion le 30 juin 2023. En tant que membre et contributeur du Conseil d’action, The Bridge Tank a pris part à la réunion, représenté par son président Joel Ruet.

Le Conseil d’action du B20 Inde sur l’intégration économique africaine est une initiative du Business20 (B20) – le groupe d’engagement du G20 avec les entreprises, fédérations professionnelles et organisations patronales des pays du G20 – lancée par la présidence indienne 2023 et présidée par Sunil Bharti Mittal, fondateur et président de Bharti Enterprises. Militant de longue date pour une plus grande intégration économique du continent africain et d’un plus fort engagement Nord-Sud et Sud-Sud, The Bridge Tank avait rejoint le Conseil d’action en janvier 2023, lors de la réunion de lancement du B20.

Les coprésidents du Conseil d’action Mauro Bellini, président du conseil d’administration de Marcopolo (Brésil), Tony Elumelu, président de Heirs Holdings (Nigeria), Patricia Nzolantima, fondatrice de Bizzoly Holding (République démocratique du Congo), Valentina Mintah, fondatrice de Bizzoly Holding (République démocratique du Congo), Valentina Mintah, fondatrice, West Blue Consulting (Ghana), Cas Coovadia, PDG, Business Unity (Afrique du Sud), Birju Pradipkumar Patel, codirecteur général, ETG World (Afrique du Sud), et Sudarshan Venu, directeur général, TVS Motor Company, (Inde) sont également intervenus lors de la réunion.

Le président du Conseil d'Action Sunil Bharti Mittal
Le co-président Tony Elumelu

La réunion a permis de présenter le document d’orientation (policy paper) élaboré par le Conseil d’action sur la base de cinq thèmes prioritaires :

  • Promouvoir un capital humain renforcé dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la formation professionnelle;
  • Transformation de l’agriculture et des systèmes alimentaires pour améliorer durablement la productivité, la sécurité alimentaire et les niveaux de nutrition;
  • Transformation structurelle par l’industrialisation grâce aux investissements privés, à l’adoption de technologies, à l’habilitation des MPME et à l’accès à l’énergie;
  • Faciliter le commerce pour exploiter le potentiel d’intégration des chaînes de valeur régionales et mondiales;
  • Combler les lacunes en matière de connectivité physique et numérique en facilitant les investissements.

Le document d’orientation et ses recommandations vont maintenant être soumis au G20 et présentés aux parties prenantes dans le cadre du dialogue B20/G20. Le document espère servir de base au plaidoyer et au dialogue en faveur de l’intégration économique du continent africain.

Policy Brief – Comment la Chine est parvenue à dominer la chaîne de valeur mondiale des batteries lithium-ion automobiles

Ce policy brief a été rédigé par Xieshu WANG, Experte Senior Finance, Matières, Mobilité, The Bridge Tank, et a été initialement publié par le Centre d’études sur le commerce et le développement, Copenhagen Business School Policy Brief No. December 2022. Pour consulter la publication originale, cliquez ici.

L’électrification des véhicules s’accélère et l’industrie automobile mondiale est en pleine transformation. La Chine est devenue un partenaire indispensable pour les fabricants de véhicules électriques, car elle est le seul pays à avoir réussi à mettre en place une chaîne de valeur industrielle complète et compétitive pour les batteries lithium-ion des véhicules électriques. La politique gouvernementale descendante (top-down) a été un catalyseur important ; la stratégie et les investissements ascendants (bottom-up) d’intégration verticale au niveau de l’entreprise ont effectivement créé une chaîne d’approvisionnement en boucle fermée. L’Afrique n’en est qu’à ses débuts dans cette transition de la mobilité. Mais avec ses riches gisements de minéraux et ses marchés potentiels, elle peut devenir un acteur clé de la chaîne de valeur mondiale des véhicules électriques, si un écosystème favorable à l’adoption rapide des véhicules électriques et des entreprises vertes connexes peut être mis en place à temps.

Points clés :

  • L’élaboration de politiques sous l’égide du gouvernement, les ajustements constants et les politiques de protection temporaires des industries naissantes ont été quelques-uns des principaux moteurs de la croissance rapide de l’industrie des véhicules électriques et du secteur des batteries lithium-ion en Chine.
  • De nombreuses entreprises chinoises déploient une stratégie que l’on peut définir comme une « intégration verticale spécialisée », c’est-à-dire qu’elles entrent activement dans des segments connexes en amont et/ou en aval de la chaîne d’approvisionnement des batteries lithium-ion pour véhicules électriques, tout en continuant à renforcer leur capacité existante dans le segment initial de la chaîne de valeur, qui sert de base d’expansion.
  • Avec l’explosion de la demande de minerais pour les batteries et les VE, l’Afrique, avec ses riches gisements de lithium, de cuivre, de cobalt et d’autres minerais, pourrait devenir un acteur clé de la chaîne de valeur mondiale des VE.
  • La conception d’un cadre réglementaire favorisant les VE, l’application de politiques d’incitation et le développement de programmes de R&D menés par le gouvernement sont des points de départ importants pour attirer des multinationales à la pointe de la technologie dans la chaîne de valeur des VE, encourager les startups locales et développer des pôles industriels compétitifs. La promotion d’alliances et de collaborations régionales ainsi que le développement de fonds d’investissement industriels dédiés aux entreprises de la chaîne de valeur des VE sont d’autres pistes d’action qu’il convient d’explorer.
À propos de l’auteur

Xieshu WANG est Experte Senior Finance, Matières, Mobilité, The Bridge Tank, et chercheuse associée au Centre de recherche en Économie de l’Université Paris Nord (CEPN). Elle est membre de l’Osservatorio sulle Economie Emergenti Torino (OEET) et chargée de recherche à l’Institut interdisciplinaire d’innovation de l’École polytechnique de Paris et au département d’économie et de statistique « Cognetti de Martiis » de l’Université de Turin.

Concordia Europe Summit: Souveraineté européenne, sécurité énergétique & relations transatlantiques

Les 15 et 16 juin 2023, d’éminents décideurs de toute l’Europe et du monde entier se sont réunis à Madrid, en Espagne, à l’occasion du Concordia Europe Summit 2023. Deux jours de conversations de haut niveau à huis clos sur le thème de la démocratie, de la sécurité et des risques géopolitiques ont permis d’aborder certaines des questions les plus urgentes auxquelles l’Europe est confrontée, notamment la cybersécurité, la sécurité énergétique et les outils diplomatiques. The Bridge Tank était présent au sommet, représenté par son président Joel Ruet et Raphael Schoentgen, board member, qui a participé à une session sur la transition énergétique de l’Europe.

Souveraineté européenne : Objectifs climatiques, autonomie et sécurité énergétique

Lors de la session d’ouverture du sommet, l’ancien président de la Commission européenne (CE), José Manuel Barroso, a témoigné du lien étroit entre l’établissement d’objectifs climatiques à caractère contraignant et la concrétisation des objectifs de sécurité énergétique en Europe. Malgré les défis que représentent ces objectifs climatiques, la stratégie UE 2020 a été réalisée en élargissant le problème de sa composante environnementale à la sécurité énergétique, gagnant ainsi les nouveaux membres de l’UE à mesure que la CE lançait des investissements dans les infrastructures, a-t-il noté. Cette approche a également été utilisée par les États-Unis et l’Inde.

Plaçant le débat actuel sur l’autonomie stratégique de l’UE dans son contexte géopolitique, Othmar Karas, premier vice-président du Parlement européen, a noté que l’agression de la Russie avait largement conditionné le débat sur l’autonomie stratégique et la souveraineté de l’UE, ainsi que sur sa stratégie de défense. M. Karas a déclaré que ce débat était mené « dans un esprit de coopération avec l’OTAN ».

José Manuel Barroso
Othmar Karas
Joel Ruet (à gauche)

Le président de The Bridge Tank, Joel Ruet, a profité de cette occasion pour échanger avec le premier vice-président du Parlement européen sur la contribution du Green Deal européen à l’autonomie stratégique de l’UE. Les politiques contraignantes ne sont en effet bénéfiques que dans la mesure où elles s’inscrivent dans des compromis plus larges. Il est donc important que l’UE et les États-Unis ne perdent pas leur coopération en matière d’autonomie face aux régimes illibéraux. En particulier, la guerre des subventions à court terme à laquelle se livrent actuellement les deux blocs constitue une tendance inquiétante, selon Joel Ruet.

Au milieu des nouvelles rivalités qui se dessinent, les dix prochaines années seront cruciales pour mettre au point les modèles de financement et d’inventeurs/adoptateurs PPP, a soutenu Will Roper, ancien secrétaire adjoint de l’armée de l’air américaine.

Au cours d’une session sur le « chemin vers l’indépendance », l’ambassadrice Paula Dobriansky, ancienne sous-secrétaire d’État américaine aux affaires mondiales sous la présidence de George W. Bush, a rappelé que le gouvernement américain était également très concentré sur les ramifications de la guerre en Ukraine. Elle a reconnu les avancées notables en matière d’énergie nucléaire et d’hydrogène en Europe, ce qui a également été souligné par d’autres intervenants qui ont insisté sur la nécessité de travailler sur l’offre de sécurité énergétique afin de progresser vers l’autonomie de l’Europe. Cette question a également été abordée par notre board member Raphael Schoentgen lors d’une session sur « Le paysage énergétique de l’Europe : Alternatives pour la transition vers les énergies renouvelables ».

L'ambassadrice Paula Dobriansky
Raphael Schoentgen (centre)
Diplomatie et sécurité transatlantiques et le rôle de l’Amérique latine

La question de la coopération transatlantique a été un thème central du sommet. Les avantages d’une Europe forte et souveraine pour les États-Unis ont été soulignés par différents intervenants, les partenariats bénéficiant de la force et de la confiance des deux parties.

Une session intitulée « Diplomatie et sécurité transatlantiques : Forces et opportunités futures » (Transatlantic Diplomacy & Security : Strengths and Future Opportunities) a réuni l’ancien président colombien Iván Duque Márquez, le ministre espagnol des affaires étrangères José Manuel Albares, l’ambassadrice américaine en Espagne Julissa Reynoso et Radoslava Stefanova de l’OTAN.

Selon José Manuel Albares, la relation transatlantique est très importante dans le contexte de l’agression russe. Les États-Unis sont un allié naturel de l’UE et l’agenda transatlantique sera au cœur de la prochaine présidence espagnole de l’UE, y compris dans le domaine technologique, a déclaré M. Albares. Dans ce processus d’évolution vers une Europe de la défense et une plus grande intégration, l’UE doit également envisager un processus de prise de décision basé sur la majorité qualifiée et non sur l’unanimité, a-t-il ajouté.

Le rôle central de l’alliance transatlantique est également reconnu de l’autre côté de l’Atlantique, a soutenu l’ambassadrice Reynoso, ajoutant que l’actuel président des États-Unis a été celui qui a le plus cru à cette alliance dans l’histoire récente. Sur cette base, Radoslava Stefanova a rappelé à l’auditoire que l’OTAN assurait déjà un certain degré d’intégration des systèmes et des acquisitions militaires sur la base des engagements des pays membres, et qu’elle œuvrait donc à la convergence.

Iván Duque Márquez a évoqué les opportunités créées par la présidence espagnole de l’UE en offrant un point d’union entre l’Amérique latine et l’UE. Les écosystèmes d’Amérique latine sont essentiels dans la lutte contre le changement climatique et le continent est un acteur clé de l’approvisionnement en énergie, qu’il s’agisse de pétrole, de gaz ou d’hydrogène vert, mais aussi de la sécurité alimentaire de l’UE. En outre, l’Amérique latine est confrontée à des questions similaires à celles soulevées au sein de l’UE quant à la meilleure façon d’aborder ses relations avec la Chine, en particulier en matière de commerce.

Iván Duque a également évoqué ces questions lors d’une session avec l’ancien président du Mexique Felipe Calderón, au cours de laquelle ils ont discuté du rôle de l’Amérique latine dans la durabilité mondiale. Iván Duque a notamment souligné l’hypocrisie qui veut que la tonne de CO2 vaille 50 dollars à Bruxelles et 5 dollars dans le bassin du Congo ou en Amazonie. Felipe Calderon a appelé à une véritable mise en œuvre du principe du « pollueur-payeur » et à une récompense pour l’absorption à un prix égal sur l’ensemble de la planète. « Le financement réel des coûts d’investissement est plus important que les promesses », a-t-il ajouté.

Transatlantic Diplomacy & Security: Strengths and Future Opportunities
Ivan Duque & Felipe Calderón

Concordia Summit: Notre board member Raphael Schoentgen évalue la transition énergétique en Europe

Alors que l’Europe est aux prises avec des prix de l’énergie élevés et des perturbations dans son approvisionnement énergétique à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, œuvrer à la transition énergétique de l’Europe n’a jamais été aussi urgent – mais aussi riche en nouvelles opportunités. Lors du Concordia Europe Summit qui s’est tenu à Madrid, en Espagne, Raphael Schoentgen, board member de The Bridge Tank et PDG fondateur de Hydrogen Advisors, a participé à un panel sur le thème « Europe’s Energy Landscape : Alternatives for the Renewable Transition » (Paysage énergétique européen : alternatives pour la transition vers les énergies renouvelables).

À ses côtés, Ana Palacio, ancienne ministre espagnole des affaires étrangères, Teresa Parejo, directrice en charge du développement durable chez Iberia Airlines, et German Alcayde, Board Member, HVR energy, qui a animé la session, ont échangé sur cette question.

L’évolution du paysage énergétique européen

S’appuyant sur sa vaste expérience dans le secteur de l’énergie, après avoir été CTO et membre du comité exécutif d’ENGIE et maintenant expert et entrepreneur dans le domaine de l’hydrogène, Raphael Schoentgen a ouvert les discussions en rappelant que 80 % de l’énergie utilisée aujourd’hui en Europe est sous forme solide, liquide ou gazeuse. La transition énergétique ne doit donc pas se concentrer uniquement sur l’électricité. Aujourd’hui, les énergies renouvelables représentent 40 % du réseau électrique européen. Cependant, l’électricité ne représente que 20 % de l’énergie que nous consommons, de sorte que les énergies renouvelables ne représentent que 8 % de la consommation totale d’électricité. L’Europe importe aujourd’hui encore 85 % de son énergie ( carburants compris). Elle ne sera donc pas autosuffisante du jour au lendemain, a affirmé M. Schoentgen.

Le chauffage constitue le besoin énergétique le plus important en Europe, avec 40 % de la consommation totale. Celui-ci est principalement alimenté par le gaz. Viennent ensuite les transports, avec 30 %, principalement sous forme liquide. M. Schoentgen a par conséquent exprimé sa confiance dans le potentiel de l’hydrogène, qui constitue à la fois un bon complément à l’énergie verte et un substitut au gaz naturel, qui peut renforcer la production de biogaz.

Encourager le développement et s’adapter à un environnement international changeant

Raphael Schoentgen a toutefois mis en garde contre l’imposition de restrictions au développement de l’hydrogène en Europe, appelant les décideurs à être concrets et non dogmatiques. Les actes délégués de la Commission européenne relatifs à l’hydrogène compliquent considérablement le développement de cette technologie, car l’accent mis sur les émissions nulles de CO2 et de gaz à effet de serre est trop contraignant.

Mettant les efforts européens en regard des trajectoires énergétiques internationales, Ana Palacio a partagé son analyse de l’état des lieux aux Etats-Unis. La loi sur la réduction de l’inflation de 2022 (IRA), promulguée en août 2022, contient 500 milliards de dollars de nouvelles dépenses et d’allègements fiscaux visant – parmi d’autres priorités – à stimuler les énergies propres. Ana Palacio a fait remarquer que si l’IRA était neutre sur le plan technologique, le Green Deal européen n’affichait pas cette neutralité technologique puisqu’il rejetait l’énergie nucléaire. Raphael Schoentgen a confirmé ce point, lui qui venait de rentrer de Washington D.C., où il avait assisté à la publication de la stratégie américaine sur l’hydrogène.

Revenant sur les importations d’énergie en Europe, Ana Palacio a souligné les efforts de l’Espagne pour ne pas se rendre dépendante d’un seul pays (contrairement à la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis du gaz russe). Au contraire, l’Espagne a construit une flottille de terminaux énergétiques pour conserver son indépendance.

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