Le Massif du Fouta Djalon – château d’eau de l’Afrique de l’Ouest – se meurt. Ce trésor de la nature abrite dans ses hauts plateaux forestiers en Guinée les sources des grands fleuves Sénégal, Gambie et Niger, abreuvant ainsi une région de près de 300 millions d’habitants. Face à l’urgence de la menace qui pèse sur les écosystèmes fragilisés du Fouta Djalon, The Bridge Tank, Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves (IAGF) et l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) ont uni leurs forces pour alerter la communauté internationale et présenter un plan d’action lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Eau 2023 à New York.
Le 24 mars, The Bridge Tank, IAGF, et l’OMVS ont organisé dans l’enceinte du siège de l’ONU un side event officiel sur le thème « Le Fouta Djalon: Visions & Actions pour la Sauvegarde du Chateau d’Eau de l’Afrique de l’Ouest » avec le soutien officiel de la France et de la Guinée, représentées respectivement par Bérangère Couillard, secrétaire d’État à l’écologie de la République française et par la directrice de cabinet d’Aly Seydouba Soumah, Ministre de l’Énergie, de l’Hydraulique et des Hydrocarbures de la République de Guinée. Le side event a été organisé en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), le Partneriat Français pour l’Eau (PFE), le Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB), et le Geneva Water Hub.
Structure de la session:
- Ouverture de la session par Bérangère Couillard, secrétaire d’État à l’écologie de la République française, Erik Orsenna, Président, Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves (IAGF) & membre de l’Académie française, et Joël Ruet, Président, The Bridge Tank
- Présentation et état des lieux des défis dans le Fouta Djalon par Soufiana Dabo, coordinateur national de la cellule OMVS en Guinée et Abderahim Bireme Hamid, secrétaire exécutif de l’Autorité du bassin du Niger (ABN)
- Le rôle des organismes de bassin et les actions en cours par Lionel Goujon, responsable de la division Eau et Assainissement de l’Agence Française de Développement (AFD)
- Un programme d’action et une discussion autour des solutions pour la sauvegarde du Fouta Djalon.
Retrouvez l’enregistrement de la session dans son intégralité sur notre chaîne YouTube.
Ouverture de la session aux Nations Unies
Venant appuyer le soutien de la France pour ce side event onusien modéré par Sophie Gardette, Directrice, IAGF, Bérangère Couillard, secrétaire d’État à l’écologie de la République française a ouvert la session par une allocution au panel.
Dans son intervention, la secrétaire d’État a introduit l’importance de préserver le massif du Fouta Djalon et son incroyable écosystème afin de protéger les grands fleuves d’Afrique de l’Ouest, soulignant au passage l’interdépendance entre la préservation des écosystèmes et la disponibilité en eau, tant en quantité qu’en qualité. Madame Couillard a également salué le travail des organismes de bassins de la sous-région, notamment l’OMVS, et leur rôle dans la gestion intégrée des ressources en eau au niveau des bassins transfrontaliers. Ce fut une occasion de rappeler à l’auditoire le rôle de la France dans le développement et la promotion de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et d’encourager une approche multi-sectorielle, conciliant l’ensemble des acteurs puisant sur les ressources du Fouta Djalon et impactant ses écosystèmes. En conclusion, Madame Couillard a rappelé l’importance de la Convention des Nations Unies sur l’Eau et a salué le rôle précurseur du Sénégal et du Tchad, qui ont été les premiers pays hors-Europe à rejoindre la Convention.
Erik Orsenna – Le cycle de l’eau et le cycle de la vie
En tant que co-hôte et co-organisateur de cet évènement, Erik Orsenna, Président des Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves (IAGF) & membre de l’Académie française, a lancé un appel à l’action afin de préserver les écosystèmes forestiers et fluviaux du Fouta Djalon. Face à la complexité et la diversité insaisissable de l’eau, « première de toutes les matières », M. Orsenna a insisté sur l’importance de recourir à des personnages concrets et des histoires pour communiquer les défis de la gestion et de la préservation des ressources en eau.
Les fleuves, et notamment les grands fleuves Sénégal, Gambie, et Niger dans le cas du Fouta Djalon, forment cette unité du vivant, ces personnages vivants dont l’histoire peut être racontée. Citant un de ses prédécesseurs à l’Académie française, Jacques-Yves Cousteau, M. Orsenna a noté que « le cycle de l’eau c’est le cycle de la vie. » La santé biologique, la santé économique et la santé sociale sont ainsi intimement liées.
Cette unité du cycle de l’eau et de la vie se retrouve également en Afrique: 60 % de l’eau potable consommée à Dakar et 100% de celle consommée à Nouakchott viennent du fleuve Sénégal. De plus, Erik Orsenna a fait l’expérience d’un autre théorème en se rendant sur les bords du Lac Tchad au Niger: « moins il y a d’eau dans le lac Tchad, plus il y a de terroristes ». « Et c’est pour ces deux raisons-là que nous avons décidé de lancer l’alerte sur le Fouta parce que le Fouta c’est la source de toute cette vie dans l’Ouest africain, » a conclu Erik Orsenna.
Joël Ruet – Expériences du terrain
Offrant un témoignage de son voyage dans le Fouta Djalon avec Hamed Semega, ancien haut-commissaire de l’OMVS, Joël Ruet, Président de The Bridge Tank & économiste à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation i3t, CNRS a tout d’abord rendu hommage à M. Semega, avec qui il avait fait ce voyage et qui avait été le premier haut-commissaire à se rendre sur les sources du fleuve Sénégal. La mission sur place avait révélé que les hommes et femmes, populations locales vivant à proximité des sources, souffraient également du manque d’eau. Là où l’on ne trouve aujourd’hui plus que des flaques d’eau pittoresques, 10 ou 15 ans auparavant, ces mêmes mares étaient de taille à y voir se noyer un adulte. Il s’agit donc aujourd’hui de transformer un cercle vicieux en cercle vertueux a indiqué Joël Ruet, avant d’ajouter que « les solutions sont avec les gens, avec les communautés locales, et il est de notre responsabilité morale et humaine en tant que communauté internationale de les appuyer dans leurs initiatives. »
Un Fouta Djalon à l’agonie
Soufiana Dabo, coordinateur national de la cellule OMVS en Guinée, a décrit le contexte actuel du Fouta Djalon avant de rappeler les défis et les menaces pesant sur ce massif qui abrite les sources du fleuve Sénégal, du fleuve Gambie, du fleuve Niger et d’autres plus petits fleuves. Ce territoire montagneux dans le nord de la République de Guinée et s’étendant vers le Sénégal, le Mali et la Guinée-Bissau se situe à des altitudes allant d’un peu plus de 500 à 1515 mètres, avec le Mont Loura comme point culminant. L’écosystéme unique du Fouta Djalon est aujourd’hui en danger et de nombreuses espèces endémiques, de la faune ou de la flore, se font rares.
La région est habitée par des agriculteurs et des éleveurs sédentaires dont les activités cohabitent. La pression démographique a néanmois mené à des mouvements de populations vers les sources d’eau afin de répondre aux besoins d’eau pour l’agriculture et pour la consommation quotidienne, à la fois humaine et du bétail. Cette pression sur les sources cause une diminution des quantités d’eau disponibles mais également la dégradation des abords des fleuves, impactant à la fois l’amont en Guinée et les pays et 300 millions de personnes vivant en aval.
Abderahim Bireme Hamid, secrétaire exécutif de l’Autorité du bassin du Niger (ABN), a également noté des dégradations supplémentaires infligées au massif par l’homme. Celles-ci impliquent par exemple la fabrication des briques cuites, les coupes de bois abusives et l’exploitation minière, en particulier l’exploitation traditionnelle de l’or.
La réduction du couvert végétal et la dégradation des sols – conséquence du surpâturage et de pratiques agricoles inappropriées au contexte démographique, telles que l’agriculture sur brûlis et la réduction des temps de jachère ont également contribué à fragiliser le Fouta Djalon. Ces pratiques agricoles et forestières non durables réduisent les couverts forestiers et assèchent les sols, menaçant la stabilité des écosystèmes du Fouta Djalon. Ces dynamiques accélèrent ainsi la désertification et l’ensablement des cours d’eau et de leurs sources, réduisant également la capacité d’absorption des sols. La menace est aussi environnementale, puisque le changement climatique affecte la pluviométrie et le microclimat particulier du Fouta Djalon, avec des températures sans cesse en hausse.
« Ensemble nous devons mobiliser nos actions, énergies, consciences, et l’information autour de ce qui doit être entrepris dès maintenant pour restaurer cet écosystème […], pour amener les population à prendre conscience mais aussi à continuer leurs activités sans être en conflit avec la nature, » a conclu M. Dabo.
« Si nous n’agissons pas activement pour changer la donne et refaire vivre le massif du Fouta Djalon, le risque serait pour l’ensemble de ces pays (ndlr: les 9 pays membres de l’ABN), pour l’ensemble de ces populations en Afrique, » a quant à lui conclu M. Hamid.
Les organismes de bassin au coeur de l’action de sauvegarde
Lionel Goujon, responsable de la division Eau et Assainissement de l’Agence Française de Développement (AFD) a présenté les initiatives de préservation et de gestion durable existantes et les actions déjà menées sur le terrain par l’AFD. Celles-ci sont notamment développées et menées en partenariat avec les différents organismes de bassin de la région. La présence de hauts responsables de ces organismes de bassins, avec M. Soufiana Dabo pour l’OMVS, un organisme que l’AFD appuie depuis environ 40 ans, et M. Abderahim Bireme Hamid pour l’ABN, avec laquelle l’AFD collabore depuis une vingtaine d’années, a illustré l’investissement et le rôle central de ces organismes dans la gestion des ressources hydriques et la préservation des écosystèmes de la région.
Il s’agit d’éviter la tragédie des communs et la tragédie du Fouta Djalon, a déclaré M. Goujon, citant le concept développé par Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009. Les défis dans l’action de préservation sont nombreux: manque de connaissances, de mesures, et de données sur les conséquences des changements hydrologiques, connaissance de la ressource en déclin, ou encore besoins de nouvelles technologies et de moyens et dispositifs humains pour maintenir des réseaux de mesure.
L’action de l’AFD en partenariat avec les organismes de bassin se structure autour de projets comme le projet SCREEN avec l’OMVS, un projet de mesure altimétrique avec des technologies spatiales en collaboration avec de nombreux acteurs français (ex. CNR, IRD, BRL, et CNES). Le projet DYNOBA de dynamisation des organismes de bassin transfrontaliers en Afrique encourage le partage d’expériences entre les organismes de bassin. Le Fouta Djalon pourrait être un terrain d’application de ce partage. L’AFD travaille actuellement également à un projet d’appui aux services météorologiques nationaux de Guinée, afin de renforcer la météorologie nationale et de produire des données plus fiables.
« Il y a plusieurs niveaux auxquels il faut travailler : les niveaux institutionnels, internationaux, nationaux, le niveau local avec les populations pour avoir un impact bénéfique sur cet espace, » a conclu M. Goujon.
Un plan d’action pour le Fouta Djallon
L’objectif de ce side event était non seulement d’alerter la communauté internationale sur la situation alarmante d’un Fouta Djalon mourant mais également de présenter un plan d’action et d’axes prioritaires à mobiliser pour la préservation du massif. Joël Ruet, Président, The Bridge Tank & économiste à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation i3t, CNRS a ainsi présenté les nécessaires composantes du plan d’action que nous proposons:
- Le soutien et la mobilisation des communautés locales du Fouta Djalon, en établissant par exemple un catalogue de bonnes pratiques durables combinant des méthodes agricoles & de préservation des écosystèmes traditionnelles et modernes et en sensibilisant et en formant les populations locales;
- Encourager la recherche et l’innovation au niveau local et régional, afin d’améliorer les connaissances et les données sur les ressources et les écosystèmes du Fouta Djallon, à travers l’incubation de start-ups technologiques, le soutien à des projets de recherche, l’ingénierie environnementale locale, le développement de solutions basées sur la nature;
- La volonté politique et la coopération régionale à travers la création d’une assemblée des États d’Afrique de l’Ouest, des organismes de bassin et des organisations multilatérales sous-régionales, soutenue par la communauté internationale, pour le Fouta Djallon, afin de développer un cadre de coopération régionale autour de cette ressource commune et d’assurer la durabilité sociale, sociétale et environnementale dans les hauts plateaux et dans toute la région ;
- La mobilisation de nouveaux mécanismes de financement vert et bleu au profit du Fouta Djalon, pour la préservation de la biodiversité et le développement des hauts plateaux avec le soutien international.
En particulier, dans la continuité des actions déjà mises en oeuvre, une action concertée de la sous-région pour la préservation du Fouta Djalon devra nécessairement faire intervenir les organismes de bassin. La question de la gouvernance a également été mise en lumière par Lionel Goujon, qui a encouragé une gouvernance à différents niveaux, impliquant les organismes de bassin, les états et les communautés économiques sous-régionales. « Il faut aujourd’hui créer des coalitions et des plateformes de coopération, » a souligné Joël Ruet. Celles-ci devront nécessairement impliquer les communautés locales, afin de déterminer quelles mesures traditionnelles doivent évoluer et quelles connaissances traditionnelles peuvent être mobilisées comme méthodes de cultivation ou d’agroforesterie plus durables et résilientes. Selon Soufiana Dabo, il s’agit donc en priorité d’adapter et de repenser les solutions existantes.
Un outil qui jouera un rôle important dans cette démarche est l’Observatoire du Fouta Djalon mis en place par l’OMVS. Celui-ci permettra, selon M. Dabo, d’observer, d’analyser et d’agir dans le Fouta Djalon. Soufiana Dabo a ainsi lancé un appel au soutien de l’Observatoire comme centre de recherche, de réflexion et collecte de données nécessaires à l’évolution du massif. Cette évolution vise à accompagner les communautés dans leurs reconversions, soit vers d’autres activités qui auront moins d’impact sur l’écosystème du massif, soit à moderniser les activités qui sont actuellement entreprises par les populations locales. Dans le cadre de ses programmes PGIRE, l’OMVS a ainsi lancé de premières initiatives allant dans cette direction, avec notamment des projets d’aménagement agricole et de mise en place de périmètres irrigués et clôturés pour sédentariser la population. La réhabilitation de réserves piscicoles vise à faire de la pêche une source de revenus alternative.
« Il ne faut pas opposer le développement socio-économique, humain, à la nature et l’environnement, » a insisté Joël Ruet.
Enfin, une dernière communauté qu’il s’agit de mobiliser sont les jeunes diplomés des universités de la région. M. Ruet a conclu en revenant sur l’importance de l’entrepreneuriat technologique local. Le soutien d’incubateurs de jeunes entrepreneurs locaux revenant sur le terrain à la suite de leurs études offrirait les moyens humains pour faire vivre les systèmes de mesure, et de collecte de données nécessaires à toute action de préservation. Ces données pourront également être mobilisées pour des mécanismes de finance durable qui permettent, selon M. Ruet, « un changement transformationnel qui passe à l’échelle. »
Cette session se place dans un engagement de longue date en faveur de la préservation du Fouta Djalon de la part de The Bridge Tank. Au Forum Mondial de l’Eau à Dakar en mars 2022, The Bridge Tank et IAGF avaient déjà co-organisé une session spéciale sur ce même thème de la sauvegarde du massif du Fouta Djalon en partenariat avec l’OMVS et l’Organisation de mise en valeur du Fleuve Gambie (OMVG). Auparavant, Joël Ruet, Président, The Bridge Tank, avait également participé à une mission de terrain dans le Fouta Djalon menée par notre board member Hamed Semega, alors haut-commissaire de l’OMVS.