La troisième semaine de 2023 a vu le monde entier se réunir une nouvelle fois pour le Forum économique mondial de Davos. Du 16 au 20 janvier, des dirigeants politiques, économiques et de la société civile du monde entier se sont réunis dans les Alpes suisses pour discuter de l’avenir économique de notre monde.
Cette année, le thème de la « Coopération dans un monde fragmenté » s’est avéré particulièrement intéressant pour The Bridge Tank, qui a pu y partager ses vues et échanger sur l’état de la coopération internationale, notamment en ce qui concerne la coopération Sud-Sud et Sud-Nord.
The Bridge Tank était présent à Davos pendant la réunion annuelle du WEF à Davos, représenté par son président Joël Ruet et les board members Judit Arenas, du Mexique, Pranjal Sharma, de l’Inde, et Raphael Schoentgen, de la Belgique.
Cette présence active sur place a permis à nos board members de discuter de la place du Sud dans la révolution numérique, d’explorer de nouveaux mécanismes financiers de coopération Sud-Nord, d’organiser des événements sur les biens publics mondiaux et de se faire un aperçu des diverses ambitions et trajectoires de certains grands émergents.
La révolution numérique et le Sud
Intervenant régulier des panles du WEF depuis plusieurs années, notre board member Pranjal Sharma a souligné le rôle des pays du Sud dans la conduite des discussions à Davos, agissant comme une force structurante pour façonner l’avenir. Pranjal Sharma a particulièrement insisté sur le rôle de l’Inde dans le renforcement des économies numériques du Sud et sur les efforts déployés par le pays pour amener la révolution numérique à de nouvelles communautés et de nouvelles langues.
Dans la continuité de cette réflexion sur la révolution numérique, M. Sharma a animé une table ronde sur le thème « Tackling Harm in the Digital Era, » (Lutter contre les préjudices à l’ère numérique), au cours de laquelle il a abordé la question de la sécurité des utilisateurs en ligne et la manière de construire des espaces numériques plus sûrs.
Le panel de haut niveau a réuni la vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence de la Commission européenne, la directrice de l’Office of Communications du Royaume-Uni et la vice-première ministre belge pour discuter des cadres réglementaires et des innovations technologiques permettant de lutter contre les contenus dangereux, la violence et les injures en ligne.
La discussion a mis en lumière les défis auxquels sont confrontés les législateurs, M. Sharma leur demandant comment gérer la violence en ligne à grande échelle et comment assurer la protection des communautés, non seulement dans les pays développés mais aussi dans les économies émergentes, alors que des milliards de personnes et de nouvelles communautés accèdent au monde numérique.
Finance bleue : Les fleuves internationaux comme vecteur de la coopération Sud-Nord
Le WEF a également permis de discuter de nouvelles formes de coopération Sud-Nord. L’un de ces mécanismes innovants sur le front de la finance bleue a été abordé lors d’un événement intitulé « Innovative Impact Investing through Blue Peace Bond » (Investissement d’impact innovant grâce aux obligations Blue Peace), organisé par le Fonds d’équipement des Nations Unies (FENU) et la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) à la Maison de la Suisse.
L’événement, auquel Joël Ruet et Raphael Schoentgen ont participé, a présenté le programme de financement Blue Peace (Paix Bleue) et la création des obligations Blue Peace, qui visent à faciliter l’accès au capital pour les organismes de bassins fluviaux et les entités locales et régionales similaires travaillant à une coopération transfrontalière multipartite autour de l’eau. Cet outil innovant de financement des infrastructures et du développement social espère fonctionner comme un dividende de la paix, en faisant de l’eau et des bassins fluviaux transfrontaliers un point d’entrée pour la paix et la coopération.
Comme l’ont souligné les interventions de M. Ruet et de M. Schoentgen, cette coopération Sud-Nord ne doit pas seulement impliquer les institutions financières du Nord, mais doit également intégrer les institutions financières du Sud aux montages financiers et servir d’opportunité pour le Sud de développer et de tirer parti de son propre écosystème financier.
Cette session et l’outil financier basé sur la coopération autour de l’eau qu’elle a présenté ont apporté une contribution précieuse aux recherches menées par The Bridge Tank pour de nouveaux outils à mobiliser dans le cadre d’une pratique élargie de l’hydro-diplomatie, quelques semaines seulement après le lancement de la World Water for Peace Conference.
Edition 2023 des Dejéuners de l’Innovation de Davos, par The Bridge Tank : Renforcer la coopération en matière de biosécurité
Pour conclure la semaine sur le thème de la coopération, Joël Ruet et Judit Arenas ont uni leurs forces le dernier jour du forum pour co-organiser un déjeuner d’échange sur la Promenade de Davos sur le thème de la biosécurité et du bioterrorisme. L’événement était le fruit d’un partenariat entre The Bridge Tank, APCO Worldwide et la société américaine de biotechnologie Illumina. The Bridge Tank organise depuis 2020 des déjeuners de l’innovation à Davos.
La session animée par Joël Ruet et John Defterios, ancien analyste économique et présentateur de CNN, et conseiller d’APCO Worldwide, a mis en évidence la fragilité des cadres nationaux et internationaux de biosécurité et le manque d’infrastructures de biosécurité. Les participants ont ainsi appeler à une plus grande coopération public-privé en la matière.
Cette session en comité restreint a rassemblé 25 spécialistes renommés dans le domaine de la biosécurité et de la cybersécurité, d’universitaires de haut niveau et de dirigeants d’entreprises, tels que John Frank, directeur des affaires publiques d’Illumina, Richard Hatchett, PDG de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), ou Frank-Jürgen Richter, président d’Horasis.
Focus sur les pavillons et les sessions thématiques à Davos
L’activité bouillonnante des différents pavillons nationaux et d’entreprises a donné lieu à des discussions animées et à des événements sur des thèmes d’intérêt pour The Bridge Tank, à savoir les économies émergentes, le développement durable et la structuration des transitions énergétiques.
L’India Lounge a été un point de rencontre important au WEF cette année. Par l’intermédiaire de son président, Joël Ruet, The Bridge Tank a assisté à une table ronde sur les investissements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de l’Inde et à un débriefing entre entreprises et gouvernement sur la volonté du monde – et en particulier des États-Unis – de renouer le dialogue avec la Chine. L’une des conclusions de cette session est que l’Inde a tout intérêt à suivre de près la question de la relocalisation éventuelle des investissements étrangers en Chine.
Cette présence à l’India Lounge a également été l’occasion de rencontrer Samir Saran, président du secrétariat du T20, et de discuter de la participation de The Bridge Tank au T20 durant la présidence indienne du G20 en 2023. Les thèmes de la coopération et de la croissance inclusive étant au cœur de la présidence indienne, The Bridge Tank apportera sa pierre à l’édifice du T20 sur les thèmes de la finance bleue et verte et du rapprochement entre le continent africain et le G20.
Indonésie : vers un avenir zéro émission nette
Après avoir récemment transmis le témoin de la présidence du G20 à l’Inde, l’Indonésie s’est montrée également très active à Davos cette année.
Le pavillon indonésien a ainsi accueilli une session « Indonesia Net Zero Pathway : Opportunity & Challenges, » le 17 janvier, une session portant sur les opportunités et défis auxquels l’Indonésie fait face pour atteindre son objectif zéro émission nette.
Une présentation de Muhammad Yusrizki, président de KADIN Net Zero Hub, Chambre de commerce d’Indonésie, a abordé certains des objectifs et des défis à venir pour la transition verte de l’Indonésie, y compris la façon de financer la transition énergétique et de dé-risquer les investissements dans les sources renouvelables en Indonésie, mais aussi le besoin de politiques et de cadres institutionnels pour accélérer le voyage du pays vers le net-zéro.
M. Yusrizki a particulièrement insisté sur la nécessité de protéger et de régénérer les mangroves, car celles-ci ont un énorme potentiel de stockage du carbone dans un pays qui abrite plus de 20 % des zones de mangrove du monde.
Le ministre indonésien chargé de la coordination des affaires maritimes et des investissements, Luhut Binsar Pandjaitan, a présenté la stratégie et les priorités sectorielles de l’Indonésie pour atteindre le net-zéro d’ici 2060. Cette voie sera fondée sur l’industrialisation et le développement économique, a déclaré M. Pandjaitan, qui a rappelé aux participants que les émissions de CO2 par habitant en Indonésie étaient inférieures à la moyenne mondiale.
L’économie verte de l’Indonésie s’appuiera sur cinq piliers :
- un secteur de l’électricité décarboné – avec le soutien du Partenariat pour une transition énergétique équitable (JETP), qui vise à ce que les énergies renouvelables représentent 34 % de la production d’électricité en Indonésie d’ici à 2030 ;
- des transports à faible émission de carbone – grâce au développement des véhicules électriques ;
- les carburants alternatifs, tels que le biocarburant ;
- les industries vertes, en développant par exemple une chaîne d’approvisionnement en batteries de véhicules électriques ;
- et les puits de carbone – par le biais du captage du carbone et du marché des compensations carbone.
L’Indonésie espère faire du secteur des transports un pilier important de cette économie verte. Premier marché automobile de l’ASEAN, l’Indonésie représente 30 % du marché des véhicules à quatre roues de l’ASEAN et 50 % de son marché des véhicules à deux roues. Si le pays dépend encore des importations, l’Indonésie espère devenir un centre de production dans la région, notamment pour les véhicules électriques, pour lesquels l’Indonésie s’efforce de développer sa propre chaîne de valeur.
L’Indonésie vise également à devenir un leader mondial en matière d’atténuation des effets du changement climatique et sur le marché des compensations carbone. La replantation de mangroves et la restauration d’écosystèmes et de terres dégradés devraient figurer parmi les principaux domaines d’action, comme l’ont indiqué certains intervenants.
Africa House : La ZLECAf et comment débloquer le potentiel du continent africain
Le continent africain a apporté sa propre contribution à la quête de coopération dans un monde fragmenté de cette édition du Forum Économique Mondial. L’Africa House de Davos a accueilli le 18 janvier un panel sur le commerce, intitulé « Deep-dive into the AfCFTA, exploring how far it has been and unlocking the future potential of the continent » (Un état des lieux de la ZLECAf, le chemin parcouru, et comment débloquer le potentiel futur du continent).
Les participants à la table ronde étaient :
- Wamkele Mene, Secrétaire Général, Secrétariat de la ZLECAf
- Samaila Zubairu, Président & Directeur Général, Africa Finance Corporation
- S.E. la princesse Alanoud Bint Hamad Al Thani, Directrice, Qatar Financial Centre.
La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) englobe 54 pays du continent, 44 États parties ayant déjà ratifié l’accord. Cette zone de libre-échange ne représente toutefois que 2,1 % du commerce mondial et 3 % du PIB de la planète.
Dans son discours d’ouverture du panel, Wamkele Mene a donc souligné que les pays africains ne pourront pas, individuellement, être compétitifs au niveau mondial. M. Mene a ainsi insisté sur la nécessité pour le continent africain de renforcer son intégration afin de développer des économies d’échelle et de surmonter sa dépendance aux exports de produits de base.
Le panel a encouragé une mise en œuvre accélérée de la ZLECAf, car elle constitue un modèle pour le développement collectif et l’industrialisation de l’Afrique. La pandémie du COVID-19 a joué un rôle important en révélant la nécessité pour l’Afrique d’établir des chaînes d’approvisionnement alternatives. L’Afrique s’étant retrouvée en dernière place pour l’approvisionnement en masques et vaccins, la nécessité pour le continent de devenir autosuffisant s’est révélée plus pressante que jamais.
Samaila Zubairu, président-directeur général d’Africa Finance Corporation, a mis en évidence le fait que les chaînes de valeur de produits comme le cacao, les noix de cajou et le coton ne se trouvent pas en Afrique ; la transformation de cette production est effectuée à l’étranger avant d’être réimportée. Il en va de même pour les véhicules électriques, bien que l’Afrique soit une source importante de matériaux stratégiques avec un énorme potentiel d’énergie solaire, a noté M. Zubairu, avant de conclure que l’Afrique souffre d’un déficit d’infrastructure de 100 milliards, ce qui affaiblit sa capacité de croissance.
Si les panélistes ont salué les efforts de l’AfCFTA en matière d’interconnexion des chaînes d’approvisionnement et des réglementations et se sont montrés optimistes quant à la réussite de l’accord – s’inspirant du processus d’intégration européenne entamé à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui a donné naissance à l’actuelle Union européenne – des défis considérables restent à relever pour atteindre un tel niveau d’intégration.
Une limitation notable se trouve dans l’absence d’un protocole sur la liberté de mouvement entre les états membres, comme l’a souligné une question dans l’assistance.
Le futur des chaînes d’approvisionnement et des investissements dans les pays émergents
Une session organisée au pavillon de DP World sur le thème « Débloquer les investissements dans les économies émergentes » a abordé l’importance des chaînes d’approvisionnement dans le monde d’aujourd’hui, notamment à la suite de la pandémie de COVID-19. Les panélistes ont noté que le manque d’investissements dans les régions moins développées du monde créait des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Une plus grande intégration des chaînes d’approvisionnement et des investissements dans les infrastructures permettraient toutefois de transmettre les bénéfices aux pays émergents.
La diversification des chaînes d’approvisionnement après le COVID pourrait donc profiter à des pays comme les Philippines ou l’Inde, ont indiqué les panélistes, car ils pourraient reprendre une partie du rôle de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement. Ces changements ont déjà commencé à redistribuer les rôles dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Le souhait de pays comme les États-Unis et le Canada de rapprocher les chaînes d’approvisionnement de leur territoire profiterait par exemple à un pays comme le Mexique.
Le modérateur de la session, Frédéric Sicre, Associé directeur de Tardis Advisors, a ainsi mis en lumière cette conception changeante des marchés émergents, en mentionnant l’acronyme BIMCHIP (Brésil, Inde, Mexique, Chili, Indonésie et Pérou) comme une alternative possible des BRICS.
Les participants ont toutefois également souligné les défis résultant de l’incertitude financière actuelle, compliquant l’accès aux capitaux. Cette incertitude financière réduira le potentiel d’investissement dans les marchés émergents, car les investisseurs donneront la priorité aux investissements moins risqués dans les marchés développés, ont conclu les panélistes.