Le 6 décembre 2022, The Bridge Tank a organisé un panel de haut niveau sur l’hydro-diplomatie à Paris, en marge du Sommet de l’ONU sur les eaux souterraines 2022, coordonné par l’UNESCO.
Cet événement était placé sous le haut patronage de :
Mme Irina Bokova
Coprésidente de la Commission mondiale sur les missions scientifiques pour le développement durable du Conseil international de la science et ancienne directrice générale de l’UNESCO
M. Erik Orsenna
Président de l’Initiative pour l’avenir des grands fleuves (IAGF) et membre de l’Académie française
Contexte
Sous le titre « Repenser l’hydro-diplomatie : Les fleuves internationaux comme instruments de paix. Expériences partagées, solutions et gestion durable des ressources, » la conférence a été placée et organisée dans un contexte de regain d’intérêt pour l’eau de la part des Nations Unies. La Conférence des Nations Unies sur l’Eau 2023, prévue en mars à New York, sera le premier événement de ce type depuis 1977.
Alors que les conflits liés à l’eau prennent de l’ampleur en raison de l’augmentation du stress hydrique autour du globe, l’hydro-diplomatie est appelée à devenir un sujet crucial dans les années et les décennies à venir. Suivant la récente publication de notre policy brief et l’appel lancé pour une pratique renouvelée et étendue de l’hydro-diplomatie, cette conférence représentait la continuité des efforts de The Bridge Tank de se positionner et de contribuer au développement et à la pratique de l’hydro-diplomatie.
Objectifs de la conférence
Partant d’une conviction profonde que l’hydro-diplomatie n’est pas seulement la pratique des diplomates et des entités étatiques, la conférence a visé à offrir une réflexion et un échange sur le développement d’outils pour l’hydro-diplomatie et vers la désescalade des conflits liés à l’eau.
The Bridge Tank a, par conséquent, organisé ce panel pour rassembler des personnes partageant cette même conviction et qui se consacrent à une meilleure approche et gestion des ressources hydriques. Parmi ces personnes figuraient d’éminents responsables et décideurs politiques, des organisations humanitaires et du développement, chercheurs, experts juridiques et praticiens impliqués dans les questions hydriques.
Le format hybride de l’événement a permis à des participants du monde entier de partager leurs expériences, leurs réussites, des études de cas, et les défis rencontrés sur le terrain. Les participants se sont joints aux discussions depuis Abidjan, Bruxelles, Conakry, Dhaka, Genève, Marrakech, Oslo, Paris, Skopje, Tachkent et Tokyo.
Des échanges précieux sur l’eau et l’hydro-diplomatie
La conférence a débuté par une session introductive qui a posé les bases de la journée, offrant une vue d’ensemble du système international existant en matière d’eau. Cette session a également permis de présenter des initiatives existantes dans le domaine de d’hydro-diplomatie et des expériences de cogestion non conflictuelle et de développement intégré de l’eau. Ces remarques introductives ont souligné la nécessité d’aborder l’eau avec une perspective plus large, en tant que question sociétale nécessitant des solutions et des approches partagées et multipartites. La coopération est notamment nécessaire pour répondre d’une part aux menaces environnementales et écologiques et d’autre part pour contribuer à la paix mondiale en réduisant les risques d’escalade de la violence et les conflits liés à l’eau.
La première session thématique de la journée a donné la parole aux décideurs politiques du monde entier afin qu’ils partagent et échangent sur leurs expériences dans la gestion de l’eau. Les messages clés de la session comprenaient un appel à la solidarité d’action multi-sectorielle et multipartite face aux différente crises frappant notre monde et un rappel de la nécessité d’écouter et de croire les communautés locales, qui en subissent les conséquences les plus sévères. Les participants ont à nouveau souligné la nécessité d’aborder les questions relatives à l’eau de manière holistique, une idée qui requiert une approche intégrée de la gestion de l’eau. D’autres points clés ont été soulevés, notamment la nécessité de combiner la gestion et l’action locale avec une vision et une compréhension scientifiques plus large du monde.
La deuxième session thématique s’est tournée vers les acteurs du développement et de l’aide internationale. À partir de leur connaissance du terrain et de leur expérience du développement, les participants ont souligné l’interconnexion des problèmes, l’eau étant un point d’entrée et un facteur essentiel dans la sécurité alimentaire, la santé et le développement de la petite enfance, le développement énergétique, la gestion des risques de catastrophe, le changement climatique et les questions de transport. L’importance d’une approche intégrée et multilatérale de l’eau et la nécessité de l’action locale et communautaire ont également été soulignées au cours de cette session. La gouvernance transfrontalière requiert toutefois la présence d’une volonté politique exprimée pour aller de l’avant. Un dernier point crucial abordé par de nombreux intervenants a mis en avant le rôle de l’éducation et de la connaissance de la ressource hydrique et fluviale afin d’assurer un meilleur entretien et une meilleure gestion des bassins fluviaux.
Enfin, la dernière session thématique était dédiée à la diversité des outils au service de l’hydro-diplomatie. Les participants ont ici encore encouragé une approche communautaire, partant du niveau local, pour développer des solutions adaptées aux besoins des communautés. Les organismes de bassin doivent, par conséquent, être compris et analysés dans leur diversité, car leurs différences structurelles et organisationnelles sont le résultat de la diversité des besoins et des fonctions qu’ils remplissent. Le rôle central des connaissances, des données, et de la recherche scientifique en tant que conditions préalables nécessaires à l’action a également été abordé par les participants durant cette session. En outre, les idées d’infrastructures partagées et de systèmes d’information partagés ont été décrits comme des outils prometteurs pour l’hydro-diplomatie.
Grandes conclusions de la conférence
A partir des nombreuses contributions des participants à la conférence et des discussions animées qui en ont découlé tout au long de la journée, diverses approches de l’hydro-diplomatie en sont ressorties, permettant l’établissement de ce qui pourrait être défini comme une taxonomie de l’hydro-diplomatie.
Nous avons identifié 3 points-clés:
1. Une première approche de l’hydro-diplomatie se trouve dans sa dimension fondamentalement diplomatique, à travers son rôle dans la prévention et la désescalade des conflits. Les participants ont convenu de rappeler l’approche classique du droit international, soulignant son importance dans les problématiques de l’eau.
2. A partir de ce premier bilan, de nombreuses contributions ont souligné le rôle central de la volonté politique dans l’hydro-diplomatie. Des témoignages et expériences venant du monde entier ont prouvé que les initiatives hydro-diplomatiques comme les Organismes de Bassin peuvent être des vecteurs de paix, de coopération et de gestion durable des ressources hydriques. Cependant, toutes ces initiatives et organisations transfrontalières requièrent une volonté politique préalable.
- Les discussions sur la manière de générer cette volonté politique incontournable se sont concentrées sur une approche dite « bottom-up », soulignant ainsi l’importance de l’action locale et de ce que l’on pourrait appeler l’hydro-diplomatie parallèle. Les connaissances et l’activité issues de la société civile en matière de préservation des ressources fluviales et hydriques, combinées aux échanges entre praticiens et scientifiques de différents pays, permettent cette hydro-diplomatie parallèle nécessaire à l’établissement d’une volonté politique parmi les responsables politiques.
- L’interaction entre les communautés scientifiques et de praticiens de l’eau d’une part et des décideurs politiques d’autre part a donc un rôle central dans la croissance de la volonté politique en faveur de l’hydro-diplomatie. Comme l’ont toutefois souligné les participants, combler le fossé entre les scientifiques et les dirigeants politiques n’est pas sans difficultés. Les interactions entre ces deux communautés visant à assurer un engagement accru en faveur de l’hydro-diplomatie nécessitent d’aligner les messages et les préoccupations des deux communautés. Il existe donc un réel besoin pour la communauté scientifique de communiquer non seulement l’importance et la pertinence scientifique de l’hydro-diplomatie à travers une approche de l’eau basée sur la coopération et la cogestion, mais aussi de souligner son importance politique. Le stress hydrique grandissant met en danger des communautés entières, aggravant l’insécurité alimentaire, favorisant le développement du terrorisme et accélérant ainsi les vagues migratoires tant internes qu’internationales.
- Mobiliser la science et la mettre au service de l’élaboration des politiques et de la génération d’une volonté politique a donc été des questions et préoccupations centrales soulevées tout au long de la journée.
3. Une dernière dimension de cette taxonomie de l’hydro-diplomatie issue de la conférence est centrée sur la diversité des outils, des processus et des institutions de cogestion de l’eau ainsi que sur les discussions concernant leur réplicabilité.
- Les organisations de bassins fluviaux sont des exemples notables de ces institutions et sont des développeurs d’outils importants pour l’amélioration de la gestion et du partage des ressources en eaux transfrontalières. Grâce aux nombreux exemples abordés durant la conférence – le fleuve Sénégal, des représentants des Pays-Bas et de la France discutant de la gestion partagée du Rhin, des perspectives du Pakistan et de l’Inde sur le fleuve Indus, ainsi que des contributions de l’Ouzbékistan avec l’exemple de l’Asie centrale – la conférence a révélé la diversité des approches et des structures des organismes de bassin et des accords de gestion partagée.
- Les participants issus du monde du développement ont ainsi échangé sur la question de la reproductibilité des organismes de bassin en notant les avantages comparatifs de certaines structures par rapport à d’autres. Cependant, ils ont également souligné que chaque contexte national et transfrontalier, la géographie, et les besoins locaux et régionaux nécessitent une adaptation des structures et priorités institutionnelles des organismes de bassin.
- Un dernier point important mentionné par les participants : la coopération nécessite fondamentalement le partage et la mise en commun des connaissances et un partage de données. Bien qu’il soit important de respecter la souveraineté nationale et régionale, les défis transfrontaliers à échelle mondiale tels que le changement climatique et l’augmentation du stress hydrique nécessitent des solutions internationales et multilatérales. La solidarité et la coopération transfrontalière en matière d’eau passent nécessairement par le partage des données.
Une pratique renouvelée et élargie de l’hydro-diplomatie nécessite donc une plateforme d’échange durable entre toutes les parties prenantes, comblant le fossé entre la communauté scientifique, les praticiens locaux de l’eau et les décideurs politiques. Fidèle à son nom et à sa mission, The Bridge Tank offre de fournir ce pont manquant et d’accueillir une telle plateforme d’échange et de connexion.
Cette conférence a fourni un premier exemple de l’engagement de The Bridge Tank en faveur de l’hydro-diplomatie et devrait devenir un événement annuel avec la « World Water for Peace Conference ».
Lisez la note conceptuelle et l’ordre du jour du panel ici.