Dans la foulée de l’accord de principe UE-Chine sur l’investissement le 30 décembre 2020, cette rencontre « en nuage » le 21 janvier 2021 entre praticiens des négociations et de la sphère économique, qui avaient déjà débattu dans des travaux préparatoires le 15 octobre 2020, livre des objectifs, des critères, des outils pour la définition d’une relation bilatérale UE-Chine renouvelée.
Les intervenant.e.s en étaient :
LU Shaye, Ambassadeur de Chine en France,
Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre,
Irina Bokova, ancienne Directrice générale de l’UNESCO et Board Member, The Bridge Tank,
François Loos, ancien Ministre de l’industrie et ancien Ministre délégué au commerce extérieur,
Sylvie Bermann, ancienne Ambassadeure de France en Chine
Stéphane Gompertz, ancien directeur d’Afrique, Quai d’Orsay et Board Member, The Bridge Tank,
Fatima Hadj, Membre de la Communauté Goalkeeper, Bill & Melinda Gates Foundation,
François Quentin, ancien Directeur Général Adjoint, Thalès, et ancien Président du Conseil d’Administration de Huawei France,
La session était animée par Joël Ruet, président, The Bridge Tank.
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Revue de détail ci-dessous (entre parenthèses le minutage des temps forts des interventions, accessibles sur le replay YouTube).
1 – Sur les « cercles » de la coopération bilatérale UE-Chine : divergences politiques, intérêts économiques communs, indépendance dans l’inter-dépendance multi-latérale
Lu SHAYE (9’54) dans son intervention introductive a très amplement commenté la situation géopolitique, les raisons nombreuses d’une coopération UE-Chine, puis s’est penché sur l’accord d’investissement Chine-UE. Abordant frontalement un contexte évidemment aujourd’hui très débattu sur la Chine, il a notamment problématisé ce dernier accord dans une perspective où des « courants atlantistes » craindraient qu’il ne « compromette l’alliance transatlantique, (indiquant qu’) ils appellent à une meilleure coordination entre l’Europe et les Etats-Unis et à attendre l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden pour affronter ensemble la Chine, sans quoi, selon eux, « en cas de conflit, l’UE sera seule face à la Chine ». Cette idée de se joindre aux Etats-Unis contre la Chine est extrêmement myope. En Europe, les milieux politique, intellectuel et les principaux médias ont tous un sens aigu de l’autonomie stratégique, le président Macron et la chancelière Merkel y sont très attachés, ce que je partage entièrement. »
Le Premier Ministre Jean-Pierre RAFFARIN (47’14) a plaidé l’autonomie stratégique de l’Europedans un contexte de bipolarisation du monde : « l’Europe n’a pas envie d’être la balle de ping-pong qui reçoit des coups de raquette un jour des États-Unis et le lendemain de la Chine ». C’est pourquoi elle « a besoin de renforcer son ambition d’autonomie stratégique. L’Europe doit avoir une propre stratégie qui lui permet de défendre sa propre orientation et sa propre autonomie stratégique. L’Europe va vers une défense de sa propre souveraineté. Il est clair que l’Europe reste une alliée des US, coopère avec la Chine, mais l’Europe ne veut pas être alignée. Nous avons bien compris que notre liberté dépendait de notre indépendance. » (55’58) Pour autant, l’Europe veut parler à tout le monde en tant que partenaire de l’équilibre mondial. Dans un contexte de rivalités sino-américaines, il rappelle que le multilatéralisme nécessite que, dans les désaccords, la discussion reste possible entre les acteurs : « Il est hors de question de se laisser imposer une rupture de dialogue par un partenaire international qui exigerait de nous le silence ». (1’11’25)
L’Ambassadeure Sylvie BERMANN (1’47’55) abonde dans ce sens : « la relation entre les États-Unis et la Chine sera déterminante dans les années qui viennent. Pour autant, ça ne doit pas être un G2, ce n’est l’intérêt de personne. Le triangle constitué avec l’Union européenne sera également essentiel. » D’autant plus que la force européenne n’est pas à sous-estimer : l’Union européenne reste le plus grand marché du monde, ce que n’ignorent ni les États-Unis ni la Chine.
L’Ambassadeure Sylvie BERMANN explique que les quatre ans de présidence TRUMP ont changé la donne. Il y a une méfiance maintenant dans les sociétés occidentales par rapport aux États-Unis. L’autonomie stratégique de l’Union européenne, cette souveraineté de l’Union européenne est maintenant renforcée chez les gouvernants, mais également dans les opinions publiques. Vis-à-vis de la Chine, il y a davantage de méfiance dans l’opinion publique, que les gouvernements prennent en considération. A cet égard, les concessions qui ont été faites par la Chine sur la question du travail forcé dans l’accord sur l’investissement ont été appréciées. Cet accord qui est un accord de principe devrait être validé par le parlement européen qui, si on a entendu certaines voix divergentes, devrait néanmoins être adopté définitivement sous la présidence française de l’Union européenne en 2022.
Au final, Jean-Pierre RAFFARIN propose 3 « cercles » schématiques (57’07) sur lesquels se fonde la coopération (ou non-coopération) entre Europe et Chine, auxquels souscrit Sylvie BERMANN
– Un cercle politiquequi témoigne des divergences entre l’Europe et la Chine. (54’14) – « Ce cercle politique, il faut le regarder avec lucidité, mais avec le respect que se doivent des nations qui veulent se parler. »
– Un cercle du marché: le marché chinois pour une entreprise européenne mondiale est un marché impératif, tout comme l’est le marché américain. Il explique qu’il n’est pas question de demander aux grandes entreprises européennes de choisir, et de renoncer à un de ces marchés. « L’extraterritorialité imposée par les US est inacceptable. L’accès au marché chinois doit pouvoir être garanti dans le cadre d’un accord équilibré. Ce qui est permis chez l’un, doit être permis chez l’autre. Autant, sur les intérêts politiques, nous avons des divergences, autant sur les intérêts de marché, nous voyons bien que nous avons un intérêt commun à trouver un équilibre. » (1’01’33)
– Un cercle de coopération internationale« Nous voyons bien que nous avons besoin de la Chine et la Chine, si elle ne veut pas être isolée, a besoin de l’UE » (1’01’55)
Le rôle des Etats-Unis est régulièrement revenu à l’origine du déséquilibre des relations multilatérales actuelles, une bonne synthèse étant apportée par l’industriel François QUENTIN (2’41’40) : « La relation entre la Chine et les États-Unis est une relation ancienne, au départ très déséquilibrée, mais s’équilibrant progressivement. On voit d’ailleurs aujourd’hui les conséquences de ce rééquilibrage qui n’est pas toujours apprécié par les Américains. » (2’42’14)
S’il faut construire c’est plus que jamais dans un monde mouvant et donc des voies concrètes sont nécessaires ; elles ont été proposées par les intervenant.e.s.
2 – Axes de coopération concrète, intérêts et confiance
Jean-Pierre RAFFARIN, repris en cela par les autres intervenant.e.s qui ont chacun.e précisé tout ou partie de ces points, a posé que la coopération avec la Chine doit s’affirmer autour de 3 axes (1’07’51)
– Un volet stratégiquesur les questions d’indépendance, de transport, d’énergie, de villes durables etc. (1’08’06)
– Un volet coopération avec les pays tiers, notamment avec l’Afrique. (1’08’06)
– Un volet sur les routes de la Soie, avec notamment l’idée d’une route à double sens, ouverte, avec une approche climats-compatible. (1’08’40)
Irina BOKOVA, ancienne directrice de l’UNESCO (1’17’45) rajoute un 4èmeaxe en mettant en lumière le rôle important de l’UE et de la Chine pour réformer le système multilatéral aujourd’hui affaibli:
– « La Chine et l’UE ont la responsabilité de coopérer et réformer le système onusien. »Avec notamment, autour de l’ONU, 3 sujets de coopération (1’20’50) : sur l’Agenda 2030« la Chine et l’UE doivent encourager les réflexions autour de la mise en oeuvre de l’agenda 2030, parce que les conséquences du Covid sont négatives », le lien entre Biodiversité et climatsur lequel « la Chine s’engage dans une dynamique plus positive », la coopération UN, Chine et UE en Afrique,elle-même sur 4 espaces : santé, sécurité alimentaire, transformation et transition écologique et création d’une zone de libre-échange très ambitieuse en Afrique.
Au-delà des intérêts, la notion de confiance dans la négociation de ces intérêts, est clairement apparue comme centrale :
Le Ministre François LOOS est revenu sur la méthode du volet stratégique, notamment via l’analyse des éléments du traité (Accord de principe sur l’investissement UE-Chine) qui peuvent « faire basculer la confiance que l’on peut donner à la Chine pour investir dans ce pays » (1’35’49):
– « La transparence dans les subventions sera acquise : c’est dire qu’elle ne l’était pas ;
– Le traité sera favorable aux services, mais ne mentionne que trop peu l’industrie ;
– Le règlement des différends n’est pas prévu or ceci est essentiel. »
Pour François LOOS (1’32’40), conserver et renforcer la confiance sur le long termepasse par le respect mutuel et la construction des indépendances : « L’indépendance nous a été rappelée par le Covid. Dans ce contexte nos politiques se construisent, avec des champions nationaux qui feront en sorte que la non-dépendancesoit acquise » (1’41’15)
« Sur cette non-dépendance, la Chine et l’UE partagent des questionnements en commun : énergie, alimentaire, matière première et certaines technologies ». L’UE doit construire ses champions industriels, telle le fait la Chine. (1’41’52)
Cette position bâtie sur des intérêts bien compris, de l’avis des intervenant.e.s, peut oeuvrer au multilatéralisme:
D’abord elle est argumentable. Pour Sylvie BERMANN (1’53’59), un certain nombre d’accusations de naïveté ou de critiques sur un accord qui aurait été adopté dans la précipitation ne tiennent pas : « les négociations sont en cours depuis sept ans. D’autre part, il répond à des demandes formulées par l’Union européenne. Chaque année, il y avait un rapport de la chambre de commerce européenne à Pékin qui demandait à la Chine un certain nombre d’améliorations. Ces améliorations sont intervenues. »
Stéphane GOMPERTZ (2’01’11) propose au-delà de l’accord, une action conjointe de la Chine et de l’UE en Afriqueen trois points :
– Sécurité et politique : Dans un esprit de respect, il est possible de coopérer. pour essayer d’œuvrer à la stabilité, notamment à des groupes internationaux de contact regroupant un certain nombre de pays, les Nations Unies, l’Union africaine, les commissions régionales africaines… (2’01’50)
– Le développement projets conjoints et investissements conjoints:l’appui aux petites et moyennes entreprises est vital, passer de l’informel au formel en se dotant simultanément de la capacité de développement, et des normes non économiques, non commerciales, non techniques. (2’05’48)
– Le traitement de la dettela Chine devrait poursuivre sur la voie qu’elle a amorcée et se joindre de plus en plus aux initiatives du G20 pour traiter la dette de façon vraiment multilatérale. (2’14’15)
Cette approche renvoie à l’utile formule de François LOOS : « Le véritable multilatéralisme serait d’arriver à s’entendre sur des visions du futur ». (1’39’10)
3 – La question des normes économiques
François LOOS a introduit également la question des normes : « Les normes et les régulations sont nécessaires faire exister les visions du futur de façon collective. Sur cette branche de l’économie moderne, de l’investissement, il faut travailler ensemble et si possible avec les États-Unis, pour que les questions d’environnement, les questions d’énergie, les questions de matières premières, les questions d’alimentation aient un horizon compréhensible et partageable par nos collègues des autres pays européens et des États-Unis et de la Chine. » (1’39’30)
La praticienne des critères extra-financiersFatima HADJ (2’21’56) a décliné ce point sur les normes ESG en rappelant que « Les critères ESG sont la transcription dans le domaine financier des objectifs du développement durable » (2’25’08), en offrant « des axes de coopération précis. L’exemple de la taxonomieen est un, notamment en mettant en place des initiatives de coordination des critères ESG entre la Chine, l’UE et les US pour permettre d’avoir un langage commun. » (2’33’25). Aussi, Fatima HADJ suggère de mettre en place des comités, des commissions, des initiatives de coordination des critères ESG entre l’Europe, la Chine et les États-Unis.
François QUENTIN dans le même sens a mentionné que « la Chine et l’UE ont un problème de compréhension mutuelle sérieux, un problème de compréhension de fond», (2’45’38) y compris dans le fonctionnement des entreprises. Par exemple, il y a encore peu de gens en Europe qui comprennent ce que recouvre la notion de contrat en Chine – notion déjà complètement différentes aux US et dans le monde anglo-saxon ». Il évoque également un mépris mutuel qui s’est installé dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine au point d’entraver un dialogue constructif. En effet, beaucoup d’entreprises américaines et chinoises étaient dans l’univers infondé de la méconnaissance ou de la condescendance. (2’44”39). Cependant une « base de jeunes qui grandit tous les jours (va) avoir une approche différente dans les relations économiques et sauront comment interpréter des actes profonds de prise de décision, de contractualisation ou de réponse managériale dans les entreprises à des situations qui ne sont pas toujours facile à résoudre pour un étranger au sens complet du terme. » et que « Le travail à mener dans les années à venir : mettre en place des actes concrets à la portée des entreprises et des gens qui travaillent ensemble ». (2’50’20)
A retenir
Si les relations internationales passent par les intérêts, la construction concrète de ces intérêts nécessite d’établir la confiance, et il a été rappelé quecela passe par le respect qui, sur le terrain, n’a pas toujours été au rendez-vous et ce dans chaque sens. A cette condition, des désaccords de système peuvent être actés, des intérêts potentiels véritablement construits, une implication mutuelle dans le multilatéralisme trouver son sens. En filigrane, ce qui est vrai de la relation bilatérale UE-Chine n’est pas si différent avec les Etats-Unis ; quand Jean-Pierre RAFFARIN, citant DE GAULLE sur la France, disait que l’UE veut être ce pays qui « parle à tout le monde » (1’11’24).