Quelques jours avant la COP21, Fanny Costes, secrétaire générale du Bridge Tank, a pu échanger avec la star américaine du RnB Akon, à propos de l’initiative Akon lighting for Africa : un projet de déploiement de l’énergie solaire, mené en partenariat avec Samba Bathily, PDG de Solektra International, et Thione Niang, fondateur de Give One project.
Akon parie sur le solaire et les jeunes leaders pour assurer la croissance africaine
Pour Akon, ce natif du Sénégal, les énergies propres sont la solution rêvée à l’électrification de l’Afrique et à son développement. Mais l’Afrique doit prendre en main cet immense chantier, former sa population et compter sur ses jeunes leaders pour les déployer. Entretien.
Quelles raisons vous ont poussé à vous investir dans un projet de déploiement de l’énergie solaire en Afrique?
La principale raison de ma contribution à ce projet était d’électrifier les zones rurales, qui sont les principales dépourvues d’énergie aujourd’hui. Dans ces zones reculées, à l’habitat éparpillé, il est extrêmement difficile d’étendre le réseau. D’un point de vue économique, cela ne fait aucun sens pour le gouvernement de dépenser 200 ou 300 millions de dollars pour amener le réseau aux populations qui y vivent. Dans ce contexte, l’énergie solaire est la meilleure solution parce qu’elle ne nécessite pas de grosse infrastructure pour fournir de l’électricité. Et en Afrique, le soleil est une ressource très disponible. Pour moi, c’était donc la solution idéale pour changer la donne.
Vous êtes chanteur et producteur. Pourquoi l’électrification en Afrique ?
C’est vrai, mais deux raisons expliquent ce choix. D’abord, je suis un businessman, un investisseur et ce secteur est rentable. Mais je crois surtout que l’électrification propre de l’Afrique doit enfin arriver. C’est le genre d’idée qui mûrit en vous quand vous ne voyez aucun changement depuis tant d’années. Car l’Afrique c’est une partie de moi. Je suis né et j’ai vécu dans les environs de Dakar. Quand je suis parti aux Etats-Unis, il n’y avait ni électricité ni eau courante. Et quand j’y suis retourné plus tard, après le succès que j’ai rencontré dans la musique, la situation était identique. Et ma famille, mes amis, continuent d’y vivre. Outre le fait que j’étais un peu agacé de ne pas pouvoir prendre une bonne douche chaude par exemple, j’ai surtout réalisé que les habitants du coin étaient privés d’un confort général qui va bien au-delà du détail matériel.
Cet investissement s’apparente donc à de l’entrepreneuriat social : grâce à l’énergie solaire, on peut à la fois gagner de l’argent et faire quelque chose de bien pour les populations. Fournir de l’électricité aux gens, a pour moi, en un sens, le même impact que la musique : ça change la vie! Spécialement pour quelqu’un qui n’a jamais vu la nuit.
Que peut apporter une électricité verte à l’Afrique et pour son développement futur ?
Selon moi, l’électricité verte est définitivement la meilleure voie à prendre pour l’Afrique. Et je ne parle pas que d’installations solaires. Il y a tant de manières de fournir de l’énergie à ce continent, comme l’hydroélectricité ou encore le nucléaire, sans polluer l’air ambiant.
De plus, je pense que c’est le moment pour parier dessus à l’heure où le marché de l’énergie propre décolle et où l’on peut apprendre des erreurs commises dans les pays développés. Car, aujourd’hui, l’enjeu est bien d’intégrer la solution énergétique à l’environnement local.
Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?
Fin 2015, nous avons lancé une académie du solaire au Mali, à Bamako. Elle a été pensée pour être un instrument de formation de la jeune génération sur les énergies renouvelables. Pour ce faire, on a d’abord identifié ceux qui avaient une première connaissance du solaire. Ils apprendront au contact de vrais techniciens et de vrais ingénieurs, leurs professeurs.
Et pour 2016, l’idée est de s’associer avec différentes universités à travers le monde pour apporter plus d’expériences et de connaissances au sein de l’Académie et développer un programme technique de qualité.
Nous projetons également de travailler avec des institutions financières comme l’Africa Development Bank afin de créer des synergies sur le continent. Si les banquiers nous suivent, cela permet d’avoir un partenaire local de qualité, une garantie pour eux.
Que pensez-vous de la promesse de deux milliards d’euros faite par le Président français pour développer les énergies renouvelables en Afrique ?
Selon moi, les Français qui viennent en Afrique ont une très grande responsabilité, sans doute parce qu’ils sont mêlés à la culture africaine depuis des centaines d’années. Mais pour moi, c’est une excellente nouvelle qu’ils veuillent aider à la création des premières marches d’un processus de construction.
Après, on peut toujours faire plus. En même temps, la principale responsabilité revient aux Africains qui doivent construire leur “maison”. Obtenir de l’aide importe certes, mais les Africains doivent voir ce qui est en jeu et prendre part à cette entreprise.
Des Africains créant des opportunités pour les Africains?
Exactement. L’Afrique n’a pas construit la France, ce sont les Français qui l’ont construit. Les Français n’ont pas bâti les Etats-Unis, ce sont les Américains qui les ont bâtis. Il est donc logique que les Africains construisent leur avenir. Si vous regardez la Chine, le cas est très parlant. Elle était dans une position similaire à celle de l’Afrique il y a vingt ans. Mais elle a réalisé les ressources dont elle disposait et a peu à peu fait monter en compétences sa population. L’Afrique doit s’appuyer sur un concept identique : identifier les ressources qui bénéficieraient à chaque pays et faire monter en compétences, par l’éducation notamment, ses habitants.
Dans ce contexte, les hommes politiques africains ont-ils une forte responsabilité ?
Oui. Définitivement. Ils peuvent prendre les décisions qui feront la différence et créeront de la croissance. Si les hommes politiques manquent d’éducation ou agissent hors du champ du développement, il sera clairement très difficile pour l’Afrique de croître. Se tourner vers de jeunes leaders bien formés, qui saisissent les enjeux de ce siècle et savent comment créer des opportunités économiques et sociales, pourrait faire la différence. Et avec une population formée et valorisée, vous pouvez créer de la croissance économique car elle est alors en position de faire et d’entreprendre.
Vous avez pu rencontrer la jeune génération africaine lors de vos “tournées” en Afrique pour ALFA. Pensez-vous qu’elle soit prête et motivée pour s’impliquer dans le développement des technologies propres et des énergies vertes en particulier ?
Absolument. Je pense même qu’elle comprend mieux cet impératif que ses leaders. Car elle aussi vit dans une existence baignée par les nouvelles technologies et internet. Elle saisit mieux le futur.
Quand nous sommes arrivés avec notre projet d’énergie solaire il y a quatre ans, les leaders plus âgés disaient : “Oh vous savez, nous sommes en train de construire un nouveau pipeline “!
Aujourd’hui, la grande majorité des pays d’Afrique est plus stable et les leaders sont plus concentrés sur l’avenir. Les choses heureusement bougent. Les vieux leaders sont en train de comprendre. Et il faut donc de jeunes esprits pour dire et redire que c’est à eux, aux Africains, de construire leurs pays pour créer de réels bénéfices économiques.